Voyage en quête de l’Herbe du loup

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Aldobrando (Luigi Critone – Gipi – Editions Casterman)

Par un matin pluvieux, un fier chevalier s’arrête chez un vieux mage. S’il a chevauché jusqu’à ce coin perdu du royaume, c’est parce qu’il souhaite confier son fils Aldobrando à cet homme réputé pour sa sagesse. Le midi du même jour, le chevalier a rendez-vous dans la Fosse pour combattre Branco le violeur de veuves, une canaille tristement célèbre, et il est bien conscient qu’il n’a aucune chance de sortir vivant de cet affrontement. Sachant son heure venue, le père d’Aldobrando décide donc de confier son petit garçon au vieux mage, en lui demandant de le prendre sous son aile et d’un faire un homme comme il se doit. Autrement dit, un homme avec des principes. Le vieil homme n’y connaît rien aux marmots, mais il accepte. Quelques années plus tard, Aldobrando n’a toujours rien retenu des apprentissages de son maître et il n’a jamais mis un pied dehors, mais le mage décide quand même qu’il est temps d’enseigner l’un de ses sortilèges à son jeune élève. Il lui demande notamment de lui trouver un chat pour le faire bouillir. Hélas, la préparation de la potion vire au drame: au moment où le vieux mage s’empare de l’animal, ce dernier se rebiffe et le blesse grièvement à l’oeil. Pour guérir cette vilaine blessure et empêcher le mage de devenir aveugle, la seule solution est de trouver rapidement de l’Herbe du loup. Cette plante reconnaissable à ses feuilles rouges et dentelées est un remède miracle contre les blessures aux yeux. Malgré le froid et la neige, Aldobrando prend son courage à deux mains et il quitte la maison de son maître pour tenter de dénicher cette fameuse Herbe du loup. Mais une rencontre inattendue va rapidement le dévier de sa quête. Il tombe sur un drôle de personnage avec un casque et une lance qui dit s’appeler Gennaro Montecapoleone des deux fontaines et qui demande à Aldobrando de devenir son écuyer. En acceptant de le suivre, le jeune garçon est loin de se douter des gros ennuis qui l’attendent…

Rien qu’en voyant la couverture de cet album, on comprend qu’on va passer un bon moment. « Aldobrando » est un roman graphique envoûtant, à mi-chemin entre la quête du Graal et Don Quichotte. A quelle époque et dans quel pays se situe l’action de cette BD? Les auteurs ne le précisent pas… et cela n’a aucune importance. Le décor fait penser à l’Italie et les personnages semblent tout droit sortis du Moyen Age, mais c’est une fable universelle et intemporelle que nous raconte le grand auteur italien Gipi, lauréat du Prix du meilleur album au Festival d’Angoulême en 2006 pour sa BD « Notes pour une histoire de guerre ». C’est la première fois que Gipi confie l’un de ses scénarios à un autre dessinateur que lui-même. Pour « Aldobrando », il a choisi de travailler avec son compatriote Luigi Critone. Connu pour son adaptation graphique de « Je, François Villon », un roman de Jean Teulé, celui-ci travaille actuellement sur le prochain album de la série « Le Scorpion ». L’association entre Gipi et Critone est une véritable réussite. Le premier signe un scénario particulièrement sensible et intelligent. Son « Aldobrando » est une saga remplie d’émotion et d’humour. C’est une sorte de chanson de geste, peuplée de personnages dignes de « Game of Thrones », notamment le gros roi cruel, la princesse déterminée ou la brute au coeur d’or. Quant aux dessins de Luigi Critone, ils sont sublimes. Le dessinateur alterne les séquences réalistes et burlesques, mais en conservant toujours une formidable élégance dans le trait. Cette réussite graphique est liée aussi au travail sur les couleurs, qui est l’oeuvre de Francesco Daniele et Claudia Palescandolo. « Aldobrando » est une BD difficile à résumer et impossible à classer, mais c’est d’ores et déjà un classique du neuvième art. Cet album incontournable souligne également le renouveau de la bande dessinée italienne.