Suiza de Bénédicte Belpois

Par Krolfranca

Suiza

Bénédicte Belpois

Gallimard

février 2019

256 pages

Depuis sa parution, on me disait :

« Tu devrais lire ce roman, il est extraordinaire. » ou encore « C’est une superbe histoire d’amour, fonce. »

Bah oui mais les histoires d’amour, ce n’est pas ma came et on m’en a vendu des livres qui devaient être extraordinaires et qui ne m’ont pas fait frémir d’un iota. Je freinais donc des deux pieds, je ronchonnais, je maugréais « Il ne doit pas être pour moi ce roman-là ». Je faisais ma tête de c… pioche.

Et puis, va savoir pourquoi, j’en ai parlé à ma bibliothécaire adorée, qui l’a acheté, je ne prenais donc aucun risque, je pouvais l’abandonner à la deuxième page si je le voulais. Je l’ai embarqué.

Après un début comme celui-ci :

« Ici, les gens vont raconter n’importe quoi sur mon compte, après un fait divers pareil. N’importe quoi. Que j’avais ça dans les gènes, la violence et l’ennui, que j’étais bien le fils de mon père et que ça devait arriver. Ils vont raconter ma vie, même à ceux qui ne demanderont rien, ceux qui seront juste de passage, ceux qui viendront au village pour voir une connaissance, ou visiter la région. »

… On se dit qu’on n’est pas dans une histoire à l’eau de rose, que l’histoire d’amour ne sera pas niaise, qu’on peut se lancer. On prend une grande bouffée d’oxygène et on y va. On a confiance.

Après avoir avalé les 230 premières pages en quelques heures d’une nuit d’insomnies, j’ai tout arrêté. Je voulais retarder l’ultime moment, le plus tragique, le drame annoncé dès les premières phrases, je n’en voulais pas, cette histoire d’amour m’avait emportée, j’étais sur un petit nuage et je ne voulais pas en redescendre. Non, non, non, je refusais l’inéluctable et en même temps je la souhaitais cette fin, parce qu’elle était nécessaire pour la compréhension globale du roman, je n’en voyais pas d’autre et je remercie l’auteure de l’avoir écrite ainsi (même si beaucoup de lecteurs ne l’aiment pas).

Pendant toute ma lecture, j’ai gardé à l’esprit les phrases du début, je les ai même relues à plusieurs reprises, afin de rester aux aguets, prête à découvrir de quelle manière la violence annoncée allait se matérialiser. Au détour de telle ou telle autre phrase, au gré de cet événement ou de celui-ci. Bénédicte Belpois a fait preuve d’une grande maîtrise de la narration, elle m’a tenue en haleine avec une histoire d’amour !

L’écriture m’a happée, embarquée, fait décoller. Entre la crudité de certains propos, la violence de certains actes, l’innocence de Suiza, et la poésie de certains passages, le lecteur nage dans le politiquement incorrect et c’est ce mélange subtil d’ingrédients très divers qui m’a le plus séduite.

Certes la maladie et la rencontre entre deux êtres abîmés par la vie, sont d’excellents vecteurs de puissance littéraire. Mais sans cette écriture, le roman aurait pu virer au vinaigre.

Sexualité, sensualité, violence, et ce petit soupçon de poésie… C’est brûlant, c’est âpre et c’est beau. Tomas ne nous apparaît pas sous ses meilleurs auspices dans le premier tiers du roman, c’est un homme rustre, mais pas inculte, et pourtant bien grossier ou maladroit, en tout cas ses gestes le desservent. Il ne lui fait pas l’amour, il la prend, il la baise. Mais elle va l’apprivoiser petit à petit et c’est cet apprivoisement qui est le plus touchant. Elle qu’on qualifie de simplette, avec un talent de magicienne va devenir renard et Tomas petit prince.

Autour de ces deux personnages principaux quelques beaux portraits sont tissés d’une main habile et donnent à l’histoire son ossature. Sans Ramon, sans Agustina, sans Francesa, sans Lope, cette histoire n’aurait pas cette envergure.

Ce premier roman m’a complètement tourneboulée.