Croc fendu · Tanya Tagaq

Par Marie-Claude Rioux

Enfin, un roman inuit écrit par une Inuite.

Elle, elle a dix ans en 1975. Elle vit au Nunavut, dans une petite communauté de mille deux cents âmes. Plus tard, elle aura dix-sept ans, en 1982. C’est sous un soleil perpétuel, dans l’immensité de la toundra, entourée de neige volage que grandit la jeune Inuite. Au cœur de ce village, il y a les ivrognes qui rentrent du bar, un p’tit baveux qu’on déculotte, la sirène du couvre-feu, l’alcool et le butane. Il y a les rituels et les actes de bravoure. Il y a le pensionnat et une tentative de suicide. Heureusement, il y a le Plus Beau Gars. Il y a l’Aurore boréale et le ventre de la fille qui grossit. Il y a les jumeaux. Et la mort.Tanya Tagaq dépeint avec une honnêteté sans fard la vie quotidienne d’une adolescente dans ce bout du Québec. Elle entremêle adroitement courts récits, poésie et mythologie. Ici et là, les illustrations en noir et blanc de Jaime Hernandez mettent un baume sur la dureté des mots. Rarement un tel mélange des genres ne m’a autant fascinée. Un tricot sans fausses mailles.La prose de Tanya Tagaq est acérée, raboteuse, aventureuse. Elle a l’art de créer des images fortes, marquantes.     Toi qui commences à me connaître, tu sais à quel point j’ai du mal avec tout ce qui vole au-dessus du sol. Le mystère, l’onirisme, le surnaturel, pis toutes ces affaires-là. Tu comprendras donc que j’ai pu avoir du mal avec certains passages, dont celui où la jeune fille s’agenouille devant un renard lubrique, ou encore celui où une aurore boréale met la jeune fille enceinte. Sous ses airs de roman d’apprentissage, le roman de Tania Tagaq – son premier – lève le voile sur les conséquences tragiques du colonialisme, de la perte des traditions et de l’essoufflement d’une culture. Je n’ai pas lu Croc fendu. Je me suis laissée porter par sa force et son étrangeté.Croc fendu, Tania Tagaq, trad. Sophie Voillot, ill. Jaime Hernandez,Alto, pages, 2019.

★★★★★