La Maison | Emma Becker

Par Julielitaulit

La maison dont il est question dans ce livre est une maison close qu'a fréquentée l'autrice. Si c'était un plaidoyer pro-prostitution, ça serait pas mal plate comme livre. Heureusement, la solidarité féminine y est prédominante.

La première fois qu'on m'a parlé du livre La Maison, j'ai été perplexe. À priori, la prostitution est loin de ma réalité. J'irais même jusqu'à dire que la prostitution me fait peur. Mais mes opinions ou mes craintes sur la prostitution ne sont pas le sujet de cet article.

Au début du livre, nous sommes quelques mois/années après la fermeture de La Maison. Puis, Emma raconte comment elle en est venue à se prostituer. Elle a connu deux maisons closes : Le Manège et la Maison. Deux maisons closes qui sont très différentes l'une de l'autre.

De la curiosité et de l'orgueil

Avant de penser à louer son corps, elle a fait appel à une prostituée pour faire plaisir à son amoureux. Une expérience décevante, qui l'amène à en discuter avec Arthur, un de ses amis.

Un court extrait de la discussion avec Arthur, un de ses amis.

Puis lui vient l'idée d'aller à Berlin, là où vivent ses sœurs et surtout, là où la prostitution est légale.

Il lui arrive de douter de sa démarche, mais l'orgueil et la curiosité la motivent.

Une démarche journalistique et littéraire

Dès le départ, Emma Becker a voulu écrire sur son expérience comme prostituée. Elle est journaliste et écrivaine, donc ça allait de soi qu'elle documenterait le tout. Elle s'attendait à écrire sur les hommes qui paieraient, mais dans les faits, ce sont les femmes, surtout celles de la Maison, qui l'inspiraient le plus.

" À mi-chemin de Zoo, le monde m'apparaît d'une noirceur peu commune, et la seule chose à laquelle je me raccroche pour évincer le Grec, Milo, Sandor et les Hausdamen revêches, c'est le livre. Je vais écrire tout ça, c'est pour ça que je le fais, et la seule raison pour laquelle je me laisse atteindre de la sorte, c'est que ce n'est pas ma vie. Ma vie, c'est d'écrire, alors je peux bien faire semblant pendant quelques mois encore d'être une pute - et si des mecs comme le Grec y croient, c'est que je suis une bonne actrice.
Ce qui m'amène à penser aux autres filles. Genre Diana. À quoi peuvent-elles bien penser, elles? Quand il leur arrive, comme à moi, de remonter Schlüterstrasse défoncées et puant la sueur d'un connard sans considération, qui leur a donné l'impression de s'entretenir avec le Chapelier fou et le Lièvre de mars - à quoi peuvent-elles bien penser? Quelles sont les idées sombres qui viennent soudain les draper comme une lourde cape, puisqu'elles n'écrivent pas de livre et que Le Manège, c'est leur vie? Comment en arrive-t-on à se dire que sa vie est au Manège? Est-ce que tous les autres espoirs, tous les autres rêves disparaissent? "

LA MAISON | EMMA BECKER | FLAMMARION

Le Manège

Pourquoi avait-elle si peur? Entre autres, parce qu'elle était obligée de faire ses 11 heures de présence par jour (comme les autres femmes sur place) et parce que les clients demandaient (voire exigeaient) des extras. Les femmes au Manège ne pouvaient pas sortir pendant la journée pour s'acheter un repas. Il fallait être disponible les 11 heures.

L'expérience fut décevante aussi parce que les femmes ne se parlaient pas. Les femmes étaient compétitives, ce qui se comprend vu le contexte. Il y avait peu de clients et les heures étaient interminables.

Malgré sa " chance " d'être Française, elle a décidé de quitter Le Manège au bout de 2 semaines.

La Maison

" Je parle d'un monde où les putes pouvaient choisir d'être des princesses, des elfes, des fées, des sirènes, des petites filles, des femmes fatales. Je parle d'une maison qui prenait les dimensions d'un palais, les douceurs d'un havre.

Maintenant le reste du monde, pour les filles, c'est un abattoir. "

LA MAISON | EMMA BECKER | FLAMMARION

La Maison était un lieu où 50-60 femmes travaillaient. Elle y est restée plus de 2 ans, jusqu'à ce que la Maison ferme ses portes.

C'était un lieu où les femmes se parlaient et se soutenaient, un lieu où elles étaient libres de sortir dehors, un lieu où elles n'étaient pas obligées de rester toute la journée, un lieu où elles pouvaient prendre congé lorsqu'elles en avaient besoin.

Mais à la Maison, tout n'est pas parfait!

Emma et ses collègues ont eu des clients difficiles. Tellement que certains clients ne sont plus les bienvenus à la Maison.

Aussi, il arrive que des clients tombent amoureux. Et même, que certains deviennent menaçants.

Pourquoi les femmes de la Maison se prostituaient-elles?

De ce que j'en ai compris, Emma Becker n'a pas dit à ses collègues les raisons pour lesquelles elle était à la Maison. C'est au fil de discussions informelles qu'elle a appris à connaître ces femmes.

Elle raconte l'histoire d'une collègue qui en avait marre de ne pas voir grandir sa fille parce qu'elle cumulait un emploi de jour et un emploi de soir, 6 jours par semaine. Faire ses propres horaires et augmenter ses revenus, même si ça passait par la prostitution, c'était mieux pour elle que de cumuler les deux boulots et de ne pas voir le jour où les choses s'amélioreraient.

Comment on se sent avec le premier client?

La citation légèrement plus bas m'a scié les jambes...

" Mon premier client... Si on entend par premier client le premier mec avec qui j'ai couché sans envie, pour lui faire plaisir, alors qu'il faut remonter beaucoup plus loin que la Maison ou Le Manège. Je ne me souviens plus. C'est peut-être pourquoi, comme Hildie, je n'ai pas ressenti de choc ou de dégoût lorsqu'on m'a offert un cadre et un salaire pour ma résignation. "

LA MAISON | EMMA BECKER | FLAMMARION

Il arrive que des relations sexuelles soient plus que décevantes.

Ça m'a pris quelques minutes pour poursuivre ma lecture. J'ai pensé à mes histoires (rien de bien traumatisant), mais surtout, j'ai pensé à des femmes autour de moi. Combien de fois ont-elles eu des relations sexuelles pour se débarrasser d'un homme insistant?! Ça fait réfléchir.

Alors, est-ce un livre qui fait la promotion de la prostitution? Je ne crois pas.

Causerie à la Librairie Morency mercredi le 27 novembre 2019

Je vais animer une causerie avec Emma Becker à la Librairie Morency le 27 novembre à 18h. C'est gratuit et ouvert à tous et à toutes.

Animer une causerie avec Emma Becker ne signifie pas que je suis pour la prostitution. J'aurai l'occasion de poser des questions, tout comme les gens dans le public. Je suis convaincue que les échanges seront intéressants.

J'ai beau souhaiter qu'aucune femme ne soit obligée de se prostituer, je ne peux pas nier le fait que la prostitution existe, qu'elle soit légale ou pas. Aussi bien en parler.

Si ça fait de moi une mauvaise féministe, ben coudonc! Ça ne serait pas la première fois puisque je suis hétérosexuelle et que j'ai un bac en administration des affaires. (oui, on m'a déjà dit que je couche avec l'ennemi, entre autres).

Oui, je suis un peu à boutte des commentaires poches venant de gens qui n'ont pas lu le livre...

Il me semble qu'on devrait donner la parole à toutes les femmes, et non seulement à celles qui partagent nos valeurs, non?

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