Rentrée littéraire · automne 2019 · repérage

Par Marie-Claude Rioux

Ras-le-bol d’entendre parler de la rentrée littéraire? Dans ce cas, j’ai bien peur qu’il te faille passer ton chemin! Je suis certes friande de nouveautés littéraires, mais pas que, tu le sais. Je suis surtout enthousiaste à lidée de retrouver des auteurs que j’adore. Cette rentrée sera donc principalement le temps des retrouvailles. Mais encore là, pas que. Car il y a aussi des traductions que j’attends avec impatience et puis, oui, il y a bien aussi quelques curiosités.

Je laisse les quatrièmes de couverture faire leur boulot.

STARLIGHT – RICHARD WAGAMESE – ZOÉQuand Franklin Starlight ne s’occupe pas de sa ferme, il part photographier la vie sauvage au cœur de l’Ouest canadien. Mais cette existence rude et solitaire change lorsqu’il recueille sous son toit Emmy et sa fillette Winnie, prêtes à tout pour rompre avec une existence sinistrée. Starlight emmène bientôt les deux fugitives dans la nature, leur apprend à la parcourir, à la ressentir, à y vivre. Au fil de cette initiation, les plaies vont se refermer, la douleur va laisser place à l’apaisement et à la confiance. Mais c’est sans compter Cadotte, l’ex-compagnon alcoolique d’Emmy, résolu à la traquer jusqu’aux confins de la Colombie-Britannique. Dans ce roman solaire et inspiré, on retrouve Frank, le héros désormais adulte des Étoiles s’éteignent à l’aube.
LA CRÊTE DES DAMNÉS – JOE MENO – AGULLOLa Crête des damnés, cest lhistoire dun ado des quartiers sud de Chicago qui découvre le punk dans les années 1990. À travers les exploits et ruminations de Brian, ex-loser qui se rêve en star du rock, et de sa meilleure amie Gretchen, fan de punk et de bagarres aux poings, Meno décrit avec une grande justesse de ton les premiers émois amoureux, la recherche dune identité entre désir dappartenance et de singularité, les situations familiales complexes... et brosse au passage le tableau de ces quartiers et leurs démons: racisme, conformisme catholique, oppression de classe. Lâme du livre, cest le punk, et comment la découverte de son message politique et social va bouleverser la vie de cet adolescent. Bourré de références à des groupes de punk et de rock, de cassettes compiles et de conseils pour se teindre les cheveux en rose, le livre est punk jusqu'à los, jusquà la langue: rebelle à lautorité, brut et furieux. Comme J. D. Salinger avant lui, Joe Meno réussit le tour de force de faire sonner les mots et les tourments de cette génération dans une langue rythmique et crue, et son Brian Oswald est régulièrement qualifié de «Holden Caulfield moderne». Cest une autre facette du Midwest quexplore lauteur dans ce roman, qui fait la part belle à lénergie de la musique et à lhumour ironique de ladolescence.


LANNY – MAX PORTER – SEUILNon loin de Londres, il y a un village. Ce village appartient à ceux qui vivent là aujourd’hui, et à ceux qui ont vécu là autrefois. Il appartient au passé mystérieux du pays comme à son présent criard et confus. Il appartient à Pete le Dingue, le peintre paria à la réputation sulfureuse; à la vieille Peggy, qui marmonne derrière son portail; à un petit garçon nommé Lanny, tendre et imprévisible, et à ses parents, qui jamais ne le trouvent lorsqu’il se cache au fond des bois ou de ses songes. Mais ce village appartient aussi au Père Lathrée Morte, étrange créature protéiforme, croque-mitaine, légende folklorique et divinité païenne, qui veille sur les lieux – à moins qu’il ne fasse planer sur eux une sourde menace. Partout et nulle part à la fois, il s’immisce dans les maisons, dans la terre, dans les arbres. Et surtout, il écoute – sans cesse à l’affût de ces voix humaines qui affleurent, se heurtent, s’entremêlent, et dont le chaos lui est un festin. Et, parmi ces voix, il y a celle qu’il préfère entre toutes. Une voix différente. La voix d’un petit garçon. Lanny.Ode à l’enfance et à l’imagination, portrait de nos joies les plus simples, de nos peurs les plus enfouies et de nos fragilités les plus intimes, le deuxième roman de Max Porter est un conte qui puise aux sources du merveilleux comme du plus trivial pour révéler l’invisible et inquiétante magie à l’œuvre dans nos vies.BLEUETS – MAGGIE NELSON – ÉDITIONS DU SOUS-SOLDans le sillage des Pensées de Pascal citées en exergue, Bleuets est un objet hybride quelque part entre l’essai, le récit, le poème. Deux cent quarante fragments composent cette méditation poétique, intime et obsessionnelle autour d’une couleur, le bleu. Le deuil, le sentiment amoureux, la mélancolie sont autant de thèmes chers à Maggie Nelson ici abordés dans une maïeutique convoquant l’art et la beauté entre deux digressions introspectives ou savantes, des fantasmes de l’auteure à des approfondissements autour de la pensée de Platon ou de Goethe, en passant par l’oeuvre d’un Warhol ou d’un Klein ou la musique de Leonard Cohen.«Et si je commençais en disant que je suis tombée amoureuse d’une couleur. Et si je le racontais comme une confession; et si je déchiquetais ma serviette en papier pendant que nous discutons. C’est venu petit à petit. Par estime, affinité. Jusqu’au jour où (les yeux rivés sur une tasse vide, le fond taché par un excrément brun et délicat enroulé sur lui-même pareil un hippocampe), je ne sais comment, ça a pris un tour personnel.»

LE CIEL PAR-DESSUS LE TOIT – NATHACHA APPANAH – GALLIMARDLoup est un adolescent lunaire, emprisonné pour avoir provoqué un accident de voiture en tentant de rejoindre sa soeur Paloma. Leur mère Phénix, la femme tatouée, magnifique et froide, renoue alors avec cette fille transparente quelle na pas su aimer. Tandis quelles tentent de sortir Loup de prison, des souvenirs douloureux de lenfance volée de Phénix affluent: la trajectoire dune mini Lolita livrée par ses parents à la convoitise des adultes dévoile la violence sournoise nichée au coeur dun quartier pavillonnaire, les faux-semblants des tragédies ordinaires. Après avoir arraché à coup de dents sa place au monde, Phénix devra apprendre à apprivoiser la colère, la solitude, la culpabilité. Comme dans le poème de Verlaine auquel le titre fait référence, ce roman griffé déclats de noirceur nous transporte par la grâce dune écriture envoûtante vers une lumière tombée dun ciel si bleu, si calme, vers cette éternelle douceur qui lie une famille au-delà des drames.SOUS LES EAUX NOIRES – LORI ROY – DU MASQUELorsque, à la fin du lycée, Lane Fielding a fui Waddell, sa ville natale au fin fond de la Floride, pour lanonymat de New York, elle s’est juré de ne jamais y revenir. Pourtant, vingt ans plus tard, fraîchement divorcée et mère de deux filles, elle se retrouve contrainte de retourner vivre chez ses parents, sur la plantation historique de la famille. Un lieu hanté par le passé et les crimes sinistres de son père, ancien directeur dune maison de correction. La disparition de sa fille aînée vient confirmer la malédiction qui pèse sur cette ville. D’autant que dix jours plus tard, une étudiante se volatilise à son tour. Lane, désespérée, entreprend alors de faire tomber les masques autour d’elle pour découvrir si quelqu’un n’a pas enlevé sa fille afin de se venger des crimes de son père.
Sous les eaux noires questionne la solidité des liens familiaux et le danger des sombres rumeurs qui peuvent courir dans une petite ville de province… tout en montrant qu’il n’y a parfois pas de pire endroit que le foyer parental.
ARCHIVES DES ENFANTS PERDUS – VALERIA LUISELLI – DE L’OLIVIERC’est l’histoire d’une famille. Un père, une mère, deux enfants nés d’unions précédentes. Le père et la mère sont écrivains. Ils se sont rencontrés lors d’un projet où ils enregistraient les sons de New York, de toutes les langues parlées dans cette ville. C’est l’histoire d’un voyage: la famille prend la route, direction le sud des États-Unis. Le père entreprend un travail sur les Apaches et veut se rendre sur place. La mère, elle, veut voir de ses yeux la réalité de ce qu’on appelle à tort la «crise migratoire» touchant les enfants sud-américains. À l’intérieur de la voiture, le bruit du monde leur parvient via la radio. Dans le coffre, des cartons, des livres. C’est l’histoire d’un pays, d’un continent. De ces «enfants perdus» voyageant sur les toits des trains, des numéros de téléphone brodés sur leurs vêtements. Des paysages traversés et des territoires marqués par la chronologie, les guerres, les conquêtes. C’est l’histoire, enfin, d’une tentative: comment garder la trace des fantômes qui ont traversé le monde? Comment documenter la vie, que peut-on retenir d’une existence ? Et enfin: comment parler de notre présent?

Avec Archives des enfants perdus, Valeria Luiselli écrit le grand roman du présent américain. Mélangeant les voix de ses personnages, l’image et les jeux romanesques, elle nous livre un texte où le propos politique s’entremêle au lyrisme.ENFIN TRADUITS

ICI N’ESTPLUS ICI – TOMMY ORANGE – ALBIN MICHEL / «TERRES D’AMÉRIQUE»À Oakland, dans la baie de San Francisco, les Indiens ne vivent pas sur une réserve mais dans un univers façonné par la rue et par la pauvreté, où chacun porte les traces d’une histoire douloureuse. Pourtant, tous les membres de cette communauté disparate tiennent à célébrer la beauté d’une culture que l’Amérique a bien failli engloutir. À l’occasion d’un grand pow-wow, douze personnages, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, vont voir leurs destins se lier. Ensemble, ils vont faire l’expérience de la violence et de la destruction, comme leurs ancêtres tant de fois avant eux. Débordant de rage et de poésie, ce premier roman impose une nouvelle voix saisissante, véritable révélation littéraire aux États-Unis.
ORDINARY PEOPLE – DIANA EVANS – ÉDITION GLOBETroisième roman de Diana Evans, Ordinary People décrit, à travers deux couples quarantenaires les failles et les errances d’hommes et de femmes issus d’une classe moyenne auxquels le pouvoir d’achat en baisse offre peu de perspectives. L’auteure anglaise plonge le lecteur dans la vie intime et domestique de deux cocons familiaux au bord de la rupture, celui de Michael et Melissa, rencontrés il y a plus de dix ans, parents de deux enfants, et de Damian et Stéphanie, mariés depuis bientôt quinze ans, trois enfants. Que devient le couple face aux ambitions personnelles et professionnelles déçues? Aux longs trajets pendulaires? À l’argent qui manque toujours un peu? Diana Evans se fait l’observatrice de la vie conju­gale confrontée au capitalisme et à la crise, et décrit minutieusement la fragile architecture amoureuse.


LUCKY MAN – JAMEL BRINKLEY – ALBIN MICHEL / «TERRES D’AMÉRIQUE»Un adolescent cherche par tous les moyens à se prouver qu’il est devenu un homme, quitte à mettre en danger son petit frère influençable; le temps d’une excursion avec le centre aéré, un gamin des quartiers pauvres découvre la réalité des classes sociales; à l’occasion d’un stage de capoeira, deux frères tentent de renouer le contact et d’oublier la violence de leur passé familial … Ces nouvelles saisissantes, qui ont pour décor le Bronx et Brooklyn, marquent l’arrivée d’une voix singulière. Avec justesse et intensité, Jamel Brinkley met en scène des êtres aux prises avec une société définie par la couleur de peau, le sexe et l’argent, où la chance n’est bien souvent qu’illusion. Un premier livre fulgurant qui explore avec tendresse la vulnérabilité masculine dans une Amérique toujours fracturée par la question raciale.


AUTOMNE – ALI SMITH – GRASSETDaniel Gluck, centenaire, ne reçoit pas d’autres visites dans sa maison de retraite que celles d’une jeune femme qui vient lui faire la lecture. Aucun lien familial entre les deux pourtant, mais une amitié profonde qui remonte à l’enfance d’Elisabeth, quand Daniel était son voisin. Elisabeth n’oubliera jamais la générosité de cet homme si gentil et distingué qui l’a éveillée à la littérature, au cinéma et à la peinture. Les rêves – ceux des gens ordinaires, ou ceux des artistes oubliés – prennent une place importante dans la vie des protagonistes d’Ali Smith, mais le réel de nos sociétés profondément divisées y trouve également un écho. Le référendum sur le Brexit vient d’avoir lieu, et tout un pays se déchire au sujet de son avenir, alors que les deux amis mesurent, chacun à sa manière, le temps qui passe. Comment accompagner le mouvement perpétuel des saisons, entre les souvenirs qui affluent et la vie qui s’en va?

L’écriture d’Ali Smith explore les fractures de nos démocraties modernes et nous interroge sur le sens de nos existences avec une poésie qui n’appartient qu’à elle, et qui lui a permis de s’imposer comme l’un des écrivains britanniques les plus singuliers, les plus lus dans le monde entier.  


OPÉRATION ÂME ERRANTE – RICHARD POWERS – CHERCHE MIDIRichard Kraft est interne en chirurgie pédiatrique au Carver Hospital, à Los Angeles. Au cœur de cette mégalopole, qui a renoncé à l’idée même de service public, la pression est permanente. Maladie du corps social, maladie du corps physique: tout est sur le point de se défaire, de voler en éclats. Dans cette atmosphère explosive, Richard et sa collègue thérapeute Linda essaient de soigner un groupe d’enfants malades, des enfants qui semblent en savoir plus long qu’eux sur l’âme humaine et recèlent tous des secrets étonnants. À leur contact, la thérapie peut basculer dans l’enquête, et l’Amérique révéler ses failles les plus noires.Avec un humour grinçant et une empathie bouleversante, Richard Powers explore dans ce roman sous pression les racines de la survie et la mémoire de l’Amérique, grâce à une tribu d’enfants blessés mais, surtout, providentiels.


IL RESTE BIEN UN PEU DE PLACE POUR LES DÉCOUVERTESLE BAISER DE NANABUSH – DREW HAYDEN TAYLOR – PRISE DE PAROLERien ne se produit jamais dans la communauté anishinabe de Lac-aux-Loutres. Enfin, jusquà l’arrivée d’un séduisant étranger porté par une rutilante moto Indian Chief 1953. Les intentions du bellâtre sont d’autant plus mystérieuses que celui-ci semble n’avoir rien en commun avec la communauté, qu’il connaît pourtant sous toutes ses coutures. Si Maggie, la cheffe de la réserve, tombe instantanément sous son charme, Virgile, son fils adolescent, est moins enthousiaste. Aidé par son oncle Wayne, maître d’une forme inédite d’art martial autochtone, ce dernier tentera d’éloigner l’étranger de Lac-aux-Loutres – et de sa mère. Et on dirait que les ratons laveurs voudraient en faire autant.Drôle, profonde, lumineuse et remplie d’espoir, Le baiser de Nanabush est servi par le talent de conteur et l’humour qui ont fait la renommée de Taylor au Canada anglais.


À SANG PERDU – RAE DELBIANCO – SEUILDepuis la mort de leur père, Wyatt et Lucy vivent isolés sur le ranch familial de Box Elder, Utah. Jusqu’au matin où leur troupeau de bétail est décimé par une gamine sauvage au regard fiévreux, un semi-automatique dans une main, un fusil de chasse dans l’autre. Rendu fou par la perspective de perdre la terre de ses ancêtres, Wyatt s’engage dans une course-poursuite effrénée: douze jours à parcourir sans relâche un monde cauchemardesque, peuplé de motards junkies, de cartels de drogue sanguinaires et de coyotes affamés, au risque de s'éloigner à jamais de la seule personne qu’il ait jamais aimée.Western d’apprentissage électrique au cœur de paysages grandioses et inhospitaliers, odyssée mythique où chacun lutte pour sa vie, haletant du premier coup de feu à la dernière insolation, À sang perdu est la révélation d’une voix puissante de la littérature américaine.

CROC FENDU – TANYA TAGAQ – ALTOElle grandit au Nunavut dans les années 1970. Elle connaît la joie, l’amitié, l’amour des parents, l’art du camouflage et de la survie. Elle connaît l’ennui et l’intimidation. Elle connaît les ravages de l’alcool, la violence sourde, le courage d’aimer les petites peurs. Elle connaît le pouvoir des esprits. Elle scande en silence le pouvoir brut, amoral, de la glace et du ciel. Dans ce récit venu de loin, d’un espace intime et profond où les frontières s’effacent, Tanya Tagaq chronique les jours terribles d’un village écrasé sous le soleil de minuit, laissant dans la blancheur de la page l’empreinte sauvage d’une mythologie enchanteresse. Savant collage de descriptions hallucinées et de plongées intimistes, Croc fendu nous lance à la suite d’une héroïne inoubliable pour reconsidérer la différence entre le bon et le mauvais, l’animal et l’humain, le vrai et l’imaginé. Ici, la réalité se révèle aussi étrange que la fiction, à moins qu’il n’y ait jamais eu de différence entre les deux.


CE QUE L’ON SÈME – REGINA PORTER – GALLIMARDAlors que l’Amérique panse encore la plaie ouverte de la Seconde Guerre mondiale, la destinée de deux familles se met en marche. James Vincent, d’ascendance irlandaise, fuit un foyer familial chaotique pour faire des études de droit à New York où il deviendra un brillant avocat. De son côté, Agnes Miller, une jeune femme noire à l’avenir prometteur, voit son rendez-vous amoureux tourner au cauchemar lorsque la police arrête sa voiture sur une route déserte en lisière d’un bois de l’État de Géorgie. Les conséquences de cette nuit funeste influeront inexorablement sur sa vie et celle de ses descendantes. Pendant plus de six décennies de changements radicaux – de la lutte pour les droits civiques aux premières années de la présidence d’Obama, en passant par le chaos de la guerre du Vietnam –, les familles deJames et Agnes demeureront inextricablement liées.

Au fil de cette spectaculaire fresque familiale et amoureuse, ce roman donne à voir les coulisses méconnues de l’histoire d’une nation. Avec une justesse, un humour et une maîtrise rares, Regina Porter creuse les traumatismes des États-Unis sur plusieurs générations et expose avec grande intelligence les mouvements profonds d’une société sur plus d’un demi-siècle.


F 20 – ANNA KOZLOVA – STÉPHANE MARSANYoulia est en apparence une jeune fille banale, comme on en rencontre des milliers dans les banlieues dortoirs des grandes villes, pourtant sa famille s’avère pour le moins dysfonctionnelle, entre un père riche mais colérique, qui manque de brûler vives sa femme et sa fille quand il découvre l’infidélité de la première, une mère dépressive et irresponsable qui laisse ses filles livrées à elles-mêmes, et une soeur, Anioutik qui, très jeune, reçoit le diagnostic de F 20, soit celui de schizophrénie. Avertie par le comportement de sa sœur, Youlia pose bientôt un diagnostic similaire sur elle-même, mais parvient plus ou moins à le masquer à son entourage en puisant allègrement dans les réserves médicamenteuses d’Anioutik. Alternant entre des phases d’apathie, de manie, assaillie régulièrement par des voix qui tantôt la rudoient, tantôt la conseillent, mais toujours l’angoissent, Youlia parvient tant bien que mal à grandir, avec la volonté farouche de goûter comme tout le monde aux plaisirs de l’existence, malgré le mal qui la ronge.

L’histoire racontée par Anna Kozlova est poignante et narrée dans une langue dynamique. Ignorant délibérément toute considération psychologique, l’auteur nous fait percevoir la complexité des situations par des actions exposées sans fard et parfois brutalement, parfois avec drôlerie. La crudité de certains épisodes lui permet alors de souligner et de rendre sensible la détresse morale de l’héroïne.


BANNIE DU ROYAUME – VALÉRIE ROCH-LEFEBVRE – LA MÈCHEBannie du royaume est un premier roman touchant et magnifiquement écrit, qui explore les manifestations de la maladie mentale dans les dynamiques familiales. Un vœu simple est partagé par tous les personnages: celui de se fondre au monde en douceur. L’échec de celui-ci sera constaté par trois paliers générationnels d’une famille. Animé par une plume kaléidoscopique, Bannie du royaume narre des moments inoubliables où l’inadéquation avec le réel est criante.

LA CHALEUR – VICTOR JESTIN – FLAMMARIONCe roman est l’histoire d’un adolescent étranger au monde qui l’entoure, un adolescent qui ne sait pas jouer le jeu, celui de la séduction, de la fête, des vacances, et qui s’oppose, passivement mais de toutes ses forces, à cette injonction au bonheur que déversent les haut-parleurs du camping.
«Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire. » Ainsi commence ce court et intense roman qui nous raconte la dernière journée que passe Léonard, 17 ans, dans un camping des Landes écrasé de soleil. Cet acte irréparable, il ne se l’explique pas lui-même. Rester immobile, est-ce pareil que tuer? Dans la panique, il enterre le corps sur la plage. Et c’est le lendemain, alors qu’il s’attend chaque instant à être découvert, qu’il rencontre une fille.MON ANNÉE DE REPOS ET DE DÉTENTE – OTTESSA MOSHFEGH – FAYARDJeune, belle, riche, fraîchement diplômée de l’université de Columbia, l’héroïne du nouveau roman d’Ottessa Moshfegh décide de tout plaquer pour entamer une longue hibernation en s’assommant de somnifères. Tandis que l’on passe de l’hilarité au rire jaune en découvrant les tribulations de cette Oblomov de la génération Y qui somnole d’un bout à l’autre du récit, la romancière s’attaque aux travers de son temps avec une lucidité implacable, et à sa manière, méchamment drôle.«J’avais commencé à hiberner tant bien que mal à la mi-juin de l’an 2000. J’avais vingt-six ans... J’ai pris des cachets à haute dose et je dormais jour et nuit, avec des pauses de deux à trois heures. Je trouvais ça bien. Je faisais enfin quelque chose qui comptait vraiment. Le sommeil me semblait productif. Quelque chose était en train de se mettre en place. En mon for intérieur, je savais – c’était peut-être la seule chose que mon for intérieur ait sue à l’époque – qu’une fois que j’aurais assez dormi, j’irais bien. Je serais renouvelée, ressuscitée... Ma vie passée ne serait qu’un rêve, et je pourrais sans regret repartir de zéro, renforcée par la béatitude et la sérénité que j’aurais accumulées pendant mon année de repos et de détente.»Si tu es encore là, c’est que la rentrée littéraire pique tout de même un peu ta curiosité, non?! As-tu déjà repéré certains titres qui te font envie? Dis-moi tout!