"L'important n'est pas tant de savoir si oui ou non ces choses-là existent, mais pourquoi nos ennemis y croient".

Par Christophe
ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME TOME D'UNE TRILOGIE...
- Le billet sur "Soleil Noir, tome 1 : Le Triomphe des ténèbres".
Pour qui a lu le premier volet de la nouvelle trilogie de Jacques Ravenne et Eric Giacometti, cette phrase est d'une pertinence féroce, tout comme la suite du paragraphe qu'elle ouvre. Petit clin d'oeil également dès le préambule, au personnage qui la prononce et qui fait partie des petites surprises ménagées par les auteurs dans "La Nuit du mal", deuxième volet du cycle romanesque consacré à l'ésotérisme nazi, "Soleil noir" (en grand format aux éditions Lattès). Et cette fois, aucune hésitation, c'est bien un thriller historique mené tambour battant que nous avons en main. Un thriller ésotérique, forcément, mais également un roman d'espionnage sur fond de IIe Guerre mondiale. Avec un front très particulier, sur lequel les Alliés doivent lutter dans un domaine irrationnel et surmonter leur scepticisme naturel. En espérant que leur agent infiltré saura leur donner les informations indispensables pour éviter, qui sait, le pire...

A l'automne 1941, dans le port de Southampton, un navire se prépare à prendre la mer. Curieusement, dans ce contexte bien particulier, alors que l'Angleterre subit encore les bombardement nazis, il ne s'agit pas d'un navire de guerre mais d'un bateau de croisière. Le capitaine Killdare doit en prendre le commandement, mais ça ne ravit pas ce vieux loup de mer, plutôt habitué aux cargos.
Il n'a pas trop son mot à dire : il a été réquisitionné pour cette mission. Et ce n'est pas la visite d'un étrange personnage qui va arranger son humeur. Mais, le commander James Malorley sait se faire respecter. Quant à la mission, en l'occurrence, elle est ultra-secrète et très importante. Peut-être même cruciale pour la suite de la guerre.
En effet, le navire de Killdare va transporter un objet qui pourrait receler une extrême puissance. C'est en tout cas ce que pensent les nazis, si l'on en croit les moyens qu'ils ont déployés et ce, avant même que la guerre n'ait éclaté. Cet objet, c'est une swastika, récupérée in extremis par les Alliés grâce à Tristan, agent infiltré au sein de l'appareil nazi...
Mais ne s'agit-il pas d'un leurre ? Faut-il vraiment croire à la puissance de ces artefacts que les hommes de Himmler, fanatique féru d'ésotérisme et de croyances magiques, ont entrepris de chercher aux quatre coins du monde ? Cela importe peu à Malorley, même s'il peine à convaincre ses supérieurs du danger éventuel. Car si les ennemis le pensent, alors, il faut en tenir compte...
Depuis le début de l'année 1941, la guerre fait rage et le conflit s'étend en Europe. Au printemps, les nazis sont parvenus à envahir la Grèce, qui résistait depuis près d'un an aux troupes mussoliniennes. Très rapidement, l'intérêt nazi se porte sur la Crète. Mais, avec un objectif qui semble avoir un autre but que des questions strictement stratégiques et militaires.
Ce sont des archéologues qui se sont installés sur le site de Cnossos, là où se dressait le palais du roi Minos. Les nazis ont semble-t-il réactivé les fouilles, mais tout ne se passe pas comme prévu. Les recherches piétinent et surtout, l'équipe est morte de peur... Car depuis peu, on meurt beaucoup parmi l'équipe chargée d'explorer le site. Beaucoup, et violemment...
Dans ce contexte particulier, les rumeurs se répandent à très grande vitesse et déjà, on parle de phénomènes surnaturels pour expliquer ces assassinats sanglants. Le colonel Weistort dans le coma, c'est Karl Häsner qui fait office d'architecte officiel du Reich sur le site, mais il paierait cher pour se trouver ailleurs, tant l'atmosphère est devenue irrespirable...
Pourtant, à la surprise même de Häsner, un objet en or portant une swastika a été découvert tout récemment. La piste est donc bonne... Mais est l'objet qu'ils devaient trouver ? Et surtout, le jeu en vaut-il la chandelle ? Car de nouveaux meurtres sont à déplorer au sein du contingent allemand à Cnossos. Et la violence et l'horreur ont encore monté d'un cran...
Laure d'Estillac a finalement quitté la France pour rejoindre les îles britanniques. Elle a suivi Malorley dans le but d'être formée pour des missions de résistance et d'espionnage. Mais, malgré son entraînement poussé, malgré sa volonté d'agir, on ne lui confie toujours aucune mission de terrain, et ça commence à lui taper sur le système, au point de se prendre de plus en plus souvent le bec avec son supérieur...
C'est comme si Malorley voulait la surprotéger. Au lieu de la faire parachuter au-dessus de la France afin qu'elle collecte des renseignements et vienne en aide à la résistance, il la garde à ses côtés. Et préfère l'emmène voir un drôle d'individu qui, paraît-il, pourrait donner un coup de main aux SOE dans sa lutte souterraine contre les projets ésotériques du Reich. Un certain Aleister Crowley...
Tristan, lui, a poursuivi son infiltration et désormais, il occupe une position privilégiée pour suivre les décisions des nazis pour retrouver les swastikas manquantes. Il est devenu proche d'Erika von Essling, nouvelle directrice de l'Ahnenerbe, l'institut de recherche créé par les nazis pour apporter des preuves validant leurs théories sur la supériorité de la race aryenne.
Désormais, il l'accompagne dans toutes ses missions et c'est ainsi qu'il débarque en Crète, direction Cnossos, site quasiment en état de siège... Si elle est archéologue, son parcours à lui est nettement plus chaotique et même encore assez mystérieux, malgré ce qu'on a pu voir lors du premier tome. Et leur complémentarité fait des merveilles.
Et c'est d'ailleurs à l'initiative de Tristan que de nouvelles fouilles vont être organisées, l'artefact découvert par les hommes de Häsner ne semblant pas être l'objet à découvrir sur ce site. Et, effectivement, son intuition est bonne. Sauf que l'objet qu'ils vont découvrir n'est pas du tout celui auquel ils s'attendaient...
Voilà le décor de ce deuxième tome planté, et les personnages installés. Bien sûr, pour comprendre comment ils sont arrivés là, il faut lire le premier tome, car il s'y est déjà passé énormément de choses. Cette fois, on est dans le vif du sujet, à un moment très important du conflit, puisque l'ouverture du front de l'est a permis aux Anglais de desserrer un peu l'étau imposé par le Blitz.
Mais on le sait, la guerre que mène Malorley n'a rien à voir avec celle que l'on découvre dans les livres d'histoire. C'est une guerre clandestine, officieuse, très discrètement soutenue par l'exécutif, car son objet laisse sceptique la plupart des dirigeants britanniques. Comment croire à cette fable de croix gammées qui, une fois réunies, offriraient à leur détenteur un pouvoir absolu ?
Malorley est sur une corde raide, et le choix de prendre pour allié Aleister Crowley, vieillissant, oublié, mais dont l'aura reste sulfureuse et la réputation déplorable, n'est pas vraiment le genre de décision qui risque de lui donner du crédit. Quant à la fiabilité de cet individu, rien n'est plus incertain. Malorley et Laure devront faire avec...
A l'autre bout, la situation de Tristan est remarquable, mais elle n'en est que plus risquée. Les événements l'ont propulsé aux côtés de la directrice de l'Ahnenerbe, il est donc au coeur des décisions nazies, mais à la moindre erreur, au moindre doute, il se retrouvera dans la gueule d'un loup qui n'a pas l'habitude d'épargner ses proies.
Dans ce tome, c'est véritablement Tristan qui mène la danse, les Britanniques étant en attente, contraint sans cesse de réagir plus que d'agir, faute de pouvoir anticiper les actions des nazis. L'ésotérisme est une spécialité de leurs ennemis, qui ont une feuille de route assez précise dont Malorley ne sait rien. C'est donc à Tristan de devoir prendre tous les risques.
Et dans ce volet, il va en prendre énormément, jouant avec le feu pendant un bon moment, jusqu'à un final haletant, qui présage d'un troisième volet passionnant et captivant, dans lequel il lui faudra encore jouer très serré. A lui également de savoir jusqu'où aider l'ennemi sans faire prendre trop de risque à son camp (même si on se demande toujours s'il sert quelqu'un d'autre que lui-même).
Comme dans "le Triomphe des ténèbres", on voyage énormément, même si on se concentre sur le continent européen, cette fois. Ce qui n'empêche pas de visiter un certain nombre de lieux marquants, jusqu'à la partie finale, qui va se tenir dans une ville faite pour stimuler l'imagination. Une ville que connaissent bien Jacques Ravenne et Eric Giacometti...
Ce deuxième volet possède un rythme élevé, avec des chapitres courts et une alternance de fils narratifs, que j'ai respectée dans le résumé ci-dessus. Les deux filous laissent donc régulièrement le lecteur en attente d'informations qui ne vont venir que quelques chapitres plus loin. C'est une construction efficace et captivante.
Et puis, il y a un élément que je n'ai pas encore évoqué, c'est le jeu avec l'Histoire (la majuscule n'est pas de trop). Avec les faits historiques, si vous préférez. Cela concerne en particulier un flashback concernant un personnage, et pas des moindres, afin de donner des éclaircissements sur la situation qui est au coeur de la trilogie. Sur cet ésotérisme élevé au rang d'idéologie mortifère.
Le contexte historique est un ingrédient majeur de ce cycle, puisque l'idée est aussi de faire coller la fiction aux événements (ou l'inverse ?). De "jouer" avec, si je puis dire. Ainsi, dans le début de ce tome, les auteurs utilisent l'invasion de la Grèce, qui est un des moments importants de cette année 1941. Mais pas le plus importants, ni le dernier...
Qui dit Histoire, dit aussi personnages historiques. Autour des personnages de fiction que sont Tristan, Laure ou Malorley, vont donc évoluer des personnages ayant réellement existé. Malgré tout, ce sont des versions romanesques de ces personnages que nous allons découvrir, à commencer par Aleister Crowley, alias l'Antéchrist.
Il n'est guère étonnant de voir cet homme rejoindre la galerie de personnages dont Jacques Ravenne et Eric Giacometti se sont emparés pour leur donner un rôle dans leurs livres. Car il a parfaitement le profil, si je puis dire : occultiste, franc-maçon, dandy provocateur et décadent, personnage extrêmement trouble, que l'on retrouve ici dans les dernières années de sa vie, bien loin de son âge d'or.
Mais ce n'est pas le seul personnage historique intéressant que l'on croise dans ce roman (je laisse évidemment de côté les figures politiques les plus importantes, qu'on n'est pas surpris de croiser là). Je pense par exemple à Jörg Lanz, dont j'ai découvert l'existence dans ce roman. Je n'ai pas l'intention de détailler son parcours, ni de le situer dans le livre, et c'est tant mieux.
On tient là une espèce de pendant à Aleister Crowley côté allemand, et franchement, si l'on pouvait peser la démence, je pourrais parier que la balance resterait à l'équilibre si l'on plaçait chacun de ces deux-là sur un des plateaux... N'allez pas taper son nom sur un moteur de recherche si vous n'avez pas lu le roman, les auteurs ont là aussi joué avec sa biographie, vous lèveriez un coin du voile...
Il y aurait un dernier personnage réel à évoquer dans ce billet, sans doute le plus connu des trois que j'ai évoqués. Mais vous me permettrez de ne pas citer son nom. Eh oui, je sais, c'est frustrant, c'est agaçant, mais la surprise de le croiser là mérite quelques cachotteries. Non contents de le placer dans des situations impossibles, les auteurs en profitent pour reprendre une théorie passionnante et répandue, mais hélas non démontrée, le concernant et la glisser dans leur histoire...
Et comme toujours, parce que cela reste de la fiction et qu'il ne faut pas tout prendre pour argent comptant, le livre s'achève sur quelques annexes qui démêle le vrai du faux, ou du moins ce qui relève de l'imagination des auteurs et ce qu'ils ont utilisé pour faire avancer leur histoire. Des informations complémentaires qui permettent de se rassurer en fin de lecture. Quoi que...
Au terme de ce deuxième tome, la situation a très nettement évolué et Jacques Ravenne et Eric Giacometti nous laissent à un moment critique, tant sur le plan de la fiction que sur le plan historique. Il n'y a pas un, mais plusieurs cliffhangers qui laissent imaginer un dernier tome en forme de bouquet final. Avec énormément d'incertitudes quant au sort des personnages, mais également de la conclusion de ce cycle.
Les enjeux sont clairement posés dans les dernières pages de "La Nuit du mal", aux différents niveaux qui composent cette histoire. Chaque camp a remporté des batailles, mais la guerre de l'ésotérisme n'a pas encore rendu son verdict, et l'hypothèse émise par Aleister Crowley dans le dénouement de ce deuxième volet vient ajouter du piment. Du genre à attiser les feux de l'enfer...