Mister Miracle

Par Noisybear @TheMightyBlogFR

Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que Urban Comics publie en version française la maxi-série Mister Miracle de Tom King et Mitch Gerads proposant le récit en un seul tome afin de faire profiter au lectorat français ce chef d'oeuvre.

Il est compliqué pour le lectorat récent de se lancer dans de nouveaux titres, notamment parce qu'il ne connait pas le ou les personnages sur la couverture. Il faut dire qu'il peut arriver que l'accès audit titre soit compliqué parce qu'il faut avoir lu d'autres albums ou des sagas interminables afin d'arriver à se plonger dedans convenablement. Mais les éditeurs n'ont globalement pas intérêt à faire cela sur des titres à part, des titres comme Mister Miracle, qui ne s'adressent finalement pas qu'aux fans de supers mais au lectorat de bande dessinée en général. Pour être clair, si vous n'avez jamais lu une seule aventure passée de Mister Miracle et d'autres histoires de Le Quatrième Monde, vous pouvez tout de même vous intéresser à l'histoire complète de King et Gerads.

Bien évidemment, certaines subtilités vous manqueront mais vous serez tout aussi agréablement perdu que le lectorat aguerri. Ce qu'il faut savoir est que Scott Free est le fils biologique de High-Father, un nouveau dieu de New Genesis, qui l'a échangé contre le fils de Darkseid, le tyran de Apokolips. Après s'être échappé de chez son père adoptif, il va prendre l'identité et le costume d'un illusionniste expert en évasion, Mister Miracle, qui l'a accueilli chez lui avant d'être tué. Par la suite, Scott rencontrera Big Barda avec qui il va se mettre en couple.

Le récit de Tom King commence en nous montrant Mister Miracle et Big Barda vivre en couple en banlieue suivant de loin ce qui se passe dans leurs mondes d'origine. Tout se passe bien entre les deux mais Scott commence à faire des crises d'angoisse inexplicables. Pour ne pas aider, les différents politiques entre New Genesis et Apokolips commencent à s'inviter chez le couple et cela risque d'empirer lorsque leur famille respective apprendra que Big Barda est enceinte.

L'histoire ne repose pas essentiellement sur Le Quatrième Monde, l'oeuvre de Jack Kirby ; à vrai dire, Tom King utilise intelligemment ce casting afin de raconter des choses plus personnelles. En effet, à travers ce récit complet, King raconte un moment de sa vie pendant lequel il a vécu pas mal de crises d'angoisse qu'il n'arrive pas à s'expliquer alors qu'il vivait heureux avec sa femme. Il ajoute à cela l'expérience que vivait son dessinateur et ami, Mitch Gerads, qui venait d'apprendre qu'il allait être papa. Et puis, il avait aussi envie de parler de l'absurdité de la politique de Donald Trump mais aussi de l'atmosphère générale qui règne depuis que le milliardaire est devenu Président des Etats-Unis.

Le fait est que le traitement de ces sujets est très réalistes ; il n'est pas question de parler de trouble de stress post-traumatique et de dépression chez les supers mais du phénomène en général. Avec cette approche, Tom King arrive non seulement à créer des moments émouvants, il arrive à apporter de l'humour absurde avec finesse en mélangeant nos maux quotidiens au monde extraverti des New Gods. Et, tout le génie de Mister Miracle tient justement à cette manière de parler ouvertement de problèmes du quotidien dans ce monde.

L'album contient donc un récit complet qui se renouvelle à chaque épisode. King et Gerads arrivent ainsi à gérer un rythme très intéressant à l'ensemble nous faisant passer d'une émotion à une autre en l'espace de quelques cases. On passe du rire au larmes, de l'étonnement à l'intrigue, de la folie à la dure réalité de la vie. En plus, le scénariste amène petit à petit différents personnages issus de l'univers créé par Jack Kirby, conservant l'archétype à quoi chacun correspond mais les plaçant de manière étonnante : voir les Female Furies dans la salle d'attente de l'hôpital pendant que Big Barda accouche donne une séquence hilarante, le repas avec Granny Goodness a quelque chose de malsain, et la relation entre Orion et Scott Free est inquiétante. Il n'est pas nécessaire de savoir qui est qui - par exemple Funky Flashman n'est clairement pas utilisé ici pour être une parodie de Stan Lee comme c'était le cas dans l'oeuvre originale, King explique au lectorat ce qu'il a besoin de savoir afin qu'il puisse se laisser transporter par l'histoire.

Mister Miracle n'a rien de conventionnel. Le récit a ses propres codes et conventions, ne cherchant ni à se moquer de celles des histoires de supers ni à les casser. King et Gerads créent leur propre vocabulaire, apportent des gimmicks comme le "Darkseid est." ou le plateau de légumes crus à tremper. Cela ne raconte pas forcément des choses, mais ça donne cet aspect singulier qui fonctionne si bien. Toutes ces intentions subliment le récit qui est déjà fort intéressant par sa forme et par son fond.

King découpe son script en gaufrier, soit des pages composées de 3 cases sur 3, la fameuse marque de fabrique de Alan Moore et Dave Gibbons sur Watchmen. Mais, le scénariste de Mister Miracle l'utilise de manière différente, créant des poses ou des accélérations lorsqu'il le faut. Gerads, le dessinateur, gère parfaitement l'espace proposé arrivant à retranscrire à la perfection les intentions de l'auteur. La scène dans laquelle Orion se relève surpris de la réaction de son frère adoptif puis prend un légume cru, le trempe avant de prendre sa décision est excellente parce qu'elle arrive à être drôle avant de basculer dans la dramaturgie shakespearienne. Le fait d'avoir une transition aussi lente en terme de nombres de cases mais aussi rapide en page rend ce moment puissant.

Et cela n'est qu'un exemple de l'excellence de Mister Miracle. Oui, j'utilise un bien grand mot parce que c'est sincère. Je suis persuadé que le titre restera dans les mémoires du lectorat actuel et dépassera le microcosme des fans de comics de supers ; le récit de King et Gerads est incontestablement un classique moderne.