Dans le faisceau des vivants

Par Sebulon

Dans le faisceau des vivants – Valérie Zenatti

Éditions de l’Olivier (2019)
Le 1er janvier 2018, lorsque Valérie Zenatti téléphone à Aharon Appefeld pour lui souhaiter une bonne année, elle apprend qu’il a été hospitalisé. Le 3 janvier, les nouvelles de la santé de l’écrivain n’étant pas très bonnes, elle réserve un billet d’avion aller-retour Paris-Tel-Aviv pour le lendemain matin. Hélas, dans le taxi qui l’emmène à l’aéroport de Paris, elle découvre sur son téléphone la mort d’Aharon Appelfeld dans la nuit. Valérie Zenatti est dévastée par l’annonce, elle qui a traduit depuis une quinzaine d’années tous les romans de l’écrivain israélien. Mais c’est surtout un ami qu’elle perd, car malgré leur différence d’âge, une grande amitié s’était installée entre eux. Elle vit les quelques jours qu’elle passe en Israël jusqu’aux obsèques dans la torpeur et la stupéfaction, état dont elle peine à sortir, une fois rentrée à Paris.
Elle plonge alors dans ses souvenirs, elle visionne des interviews d’Aharon Appelfeld, retrace le parcours de l’écrivain à travers son œuvre, cherchant des traces de son existence dans les multiples personnages de ses livres.
Puis, pour suivre le conseil d’une lectrice inconnue rencontrée dans l’aéroport lors de son départ pour Tel-Aviv, elle décide de se rendre en Ukraine, à Czernowitz où est né l’écrivain en 1932, une ville qui se trouvait alors en Roumanie. Elle y arrive le 16 février, jour anniversaire de la naissance d’Aharon. Et là, enfin, grâce à ses promenades dans les lieux où a vécu son grand ami, lieux qu’il a décrits dans ses livres et dont il lui a parlé, elle trouve enfin un certain réconfort.

Je n’ai pas lu Aharon Appelfeld mais je n’avais aucune crainte en commençant ce livre de Valérie Zenatti. D’elle, j’avais aimé le roman Jacob, Jacob, j’avais apprécié ses longues phrases et son art de donner vie à ses différents personnages. J’avais confiance en elle pour trouver les mots appropriés pour évoquer son ami, pour raconter une vie marquée par la tragédie et pour donner envie de découvrir son œuvre.
Bien sûr, j’avais raison de lui faire confiance, son livre est magnifique, je regrette juste que ma méconnaissance d’Aharon Appelfeld ne me permette pas d’en appréhender toutes les subtilités que je devine dans ce bel hommage. Mais ce livre ne se limite pas à cela, c'est aussi la description d'une amitié, de ce qui a rapproché deux personnes apparemment si différentes, deux écrivains certes, mais ayant choisi d'écrire l'un en hébreu et l'autre en français.
Quel beau moment de lecture !
Page 40-41 :
Curieusement (un de ses adverbes préférés car qui peut se targuer d'avoir vraiment une explication, de dire précisément pourquoi il a agi ainsi ou pas ?), lorsque j'écris mes propres livres, je vis pendant plusieurs mois avec ceux que l'on appelle mes personnages, ils accomplissent leur travail de transformation intérieure, ils cherchent en moi une raison de vivre en éclairant quelques zones d'ombre sur leur passage et quand le livre est achevé, ils me quittent, laissant derrière eux un sillage d'espoir fragile - d'autres que moi les aimeront peut-être. Tandis que lorsque je traduis ses livres, ses personnages entrent en moi, pas à pas, et une fois la traduction terminée, ils ne me quittent plus, ils font partie de moi.
Page 43 :
Je désire et redoute le prochain livre que je traduirai sans lui, sans pouvoir parler avec lui de son rapport secret avec ses personnages, sans le tenir au courant de ma progression, des sentiments qui me traversent au fil des chapitres jusqu'au point final, où une bénédiction inédite s'élève en moi, particulière à chaque livre, mais qui s'achève chaque fois de la même manière : merci d'être arrivée à ce jour. J'ignore comment ces livres-là imposeront leur présence, quels seront leur résonance et leur effet dans ma vie, et c'est heureux qu'il en soit ainsi, je sais que chacun d'eux sera une découverte de lui, des hommes, de moi.
Merci à Babelio et aux éditions de l'Olivier pour l'envoi gracieux de ce livre dans le cadre de l'opération Masse critique.
D'autres avis chez Sylire et sur Mes échappées livresques.