Milly Vodovic de Nastasia Rugani

Par Krolfranca

Milly Vodovic

Nastasia Rugani

Illustrations de Jeanne Macaigne

Editions MeMo

Collection grande polynie

2018

221 pages

Couleurs sur fond noir, dessins fantasmagoriques. Les magnifiques illustrations de la couverture reflètent le contenu.

On lit ce roman comme on plonge dans un autre monde, inconnu du commun des mortels, où l’onirisme côtoie la brutale réalité. Sang et encre mêlés.

Ce roman peut dérouter plus d’un lecteur. Il n’est pas aisé de naviguer dans ses mots, il faut s’accrocher aux branches qu’il nous tend. Chaque lecture sera unique. Parce que ce roman est foisonnant. La Bosnie, les horreurs de la guerre, le racisme, l’amitié compliquée et diffuse, la mort présente partout, une Amérique sauvage et surtout et avant tout… la littérature.

Milly est une héroïne atypique, elle a 12 ans, et ne veut pas être sexuée ; elle refuse de grandir, de voir son corps devenir celui d’une femme, elle a peur de sortir de l’enfance. Celle qui parle aux animaux, qui entretient avec la nature une relation particulière, est une battante, et en même temps un être d’une sensibilité hors normes.

Avec une écriture ensorcelante, l’auteure plonge son lecteur dans un abîme insondable (ou plutôt abyme…), difficile d’en émerger sans peine, on pousse des herbes, on marche sur des coccinelles, on écoute un opossum, on se libère de nos liens, et on se questionne.

Livre jeunesse, livre pour les plus de quinze ans, livre pour les adultes qui ne craignent pas d’être déboussolés, livre inclassable, livre surprenant et déstabilisant. J’avoue que j’ai été plus d’une fois interloquée, j’ai l’impression de n’avoir pas tout compris, j’ai relu des passages plusieurs fois, mais globalement, je suis admirative. Parce que Nastasia Rugani manie l’ellipse et la suggestion avec dextérité.

Ce livre est un joyau littéraire. Je serais, néanmoins, curieuse de savoir de quelle manière un lycéen pourrait recevoir ce texte.

Une citation de Toni Morrison a été choisie en exergue du roman, et on n’est pas étonné, les univers se rejoignent quelque part. « Une petite fille. Qui essayait de se trouver un endroit alors que rien ne mène à rien » (Love)

Le début fait saliver :

En cet instant, Swan Cooper se sent plus puissant que le soleil assassin du mois de juin. Le revolver à bout de bras, il tire à deux reprises à quelques mètres d’Almaz. Les détonations résonnent dans la plaine à travers les champs de blé et les coquelicots distraits. S’il était du genre rêveur comme sa mère, il s’arrêterait un moment pour contempler l’étrange beauté de la scène : les rayons sépia du soleil couchant entre les saules pleureurs, la silhouette immobile d’Almaz pareille à un reptile des marais, étendue sur un lit d’algues et de boue. Mais Swan Cooper est un poing dans la figure du monde, un muscle tendu, à l’image de son père, refusant de se  promener le long du cœur. Trop de ravins à éviter.