Nous aurons été vivants

Par Denis Arnoud @denisarnoud



Nous aurons été vivants de Laurence Tardieu aux Éditions Stock
7 avril 2017 : Hannah croit reconnaître sa fille, Lorette, de l’autre côté de la rue. Une vision furtive, entre deux bus. La jeune fille a déjà disparu. Mais était-ce vraiment Lorette ?
Cela fait sept ans que sa fille a disparu. Sans un mot, sans un signe avant-coureur, Lorette a quitté le domicile familial. Cette disparition a été un cataclysme dans la vie d’Hannah. Ce départ soulève son lot de questions, de culpabilité. Qu’a fait Hannah pour provoquer la fuite de sa fille ?
Sept ans qu’Hannah vit ou plutôt survit avec ce traumatisme. Presque pire qu’un deuil, puisque sa fille continue de vivre, ailleurs, loin d’elle, sans donner de signes de vie. Cette absence est obsédante, elle empêche Hannah de vivre. La douleur, l’enferme, l’isole. Ses relations avec son entourage s’en ressentent. Elle ne veut pas parler de Lorette, et en sa présence, il. ne faut pas évoquer le sujet.
« Oui, se dit-elle en se redressant, la disparition de Lorette agit sur nous tel un fantôme qui nous poursuit tous. Lorette absente vit encore parmi nous par les questions sans réponse qu’elle nous a laissées et nous sommes tous, depuis sa fuite, dans une forme d’errance à laquelle nous ne pouvons pas mettre un terme. Lorette en partant nous a enfermés dans un espace dont nous ne pouvons pas sortir, contre les parois duquel nous n’en finissons pas de nous échouer, et qui d’année en année se rétrécit. Si nous pouvions voir Lorette ne serait-ce que quelques secondes, la voir, voir son visage, son corps, sa peau, peut-être notre errance à tous prendrait-elle fin – et alors ne resterait que la douleur. »
Cette impression furtive d’avoir croisé sa fille, va plonger Hannah dans ses souvenirs. Étrange mécanisme de la mémoire qui fait remonter des images sans qu’on les convoque. Souvenirs nécessaires à notre construction mais qui, quand ils sont trop présents, trop obsédants, nous enferment dans une prison de verre et nous empêchent d’avancer.
Dans ce superbe roman, Laurence Tardieu nous parle de la complexité des relations familiales, de la douleur terrible de l’absence, de ce long chemin qu’est le deuil, d’autant plus long que la disparue est toujours vivante, ailleurs. Elle interroge notre rapport au temps, à la mémoire d’une plume toujours aussi pleine d’émotion. Les mots de Laurence Tardieu me touchent toujours au plus profond, ils frappent au cœur. Quel plaisir la retrouver dans ce nouveau roman que je vous recommande vivement.
« - On croit que le temps passe mais c’est faux, il ne passe pas. Rien ne passe.C’est son tour d’avoir un drôle de sourire. Elle secoue la tête.- Non Paul, tu te trompes : bien sûr que le temps passe. Il passe comme un train lancé à toute berzingue et qui ne s’arrête dans aucune gare. Il passe et laisse derrière lui des terre brûlées, qui ne revivront plus, dont personne ne fera rien. J’ai perdu mon enfance, j’ai perdu le monde de mon enfance et celui de ma jeunesse. J’ai perdu mon adolescence. À chaque instant je perds quelque chose. Et toi aussi. Et nous tous. Cela n’existe plus. Cela n’existera plus jamais. Je ne peux pas m’y habituer. Je ne peux pas le supporter. Je ne le pourrai jamais. Lorsque j’y pense, j’ai l’impression de n’appartenir à rien, de flotter dans la nuit. » Un grand merci à Netgalley France et aux Éditions Stock pour la découverte de ce magnifique livre.