Indian Roads · Champion et Ooneemeetoo

Par Marie-Claude Rioux

C’est avec Comme un frère que je suis plongée dans l’oeuvre de David Treuer. Les premières pages avaient résonné fortement, marquant ma mémoire au fer rouge. Je me souviens comme si c’était hier de la mort de ce jeune cerf égaré près d’une autoroute… Aussitôt lu, j’avais mis la main sur Little et Indian Roads. J’ai pris ce dernier, me disant que son tour était venu. David Treuer sait de quoi il parle. Il a grandi dans la réserve de Leech Lake, dans le nord du Minnesota, auprès de sa mère ojibwe et de son père autrichien, un survivant des camps de concentration. Son essai se situe à mi-chemin entre le reportage et le récit de vie, creusant dans la mémoire familiale et dans les anfractuositésde l’histoire américaine.

Chaque chapitre s’ouvre sur une anecdote personnelle suivie d’une tranche d’Histoire. Il y est question des droits – souvent bafoués – issus des traités, de politiques gouvernementales inhumaines, de dépossession territoriale. Il y est aussi question de la création des réserves, de la naissance des casinos et de l’histoire des pensionnats autochtones. Il accorde également une grande attention aux langues traditionnelles en voie d’extinction. Treuerégratigne au passage les gouvernements tribaux en pointant du doigt la corruption et le copinage qui caractérisent un grand nombre d’entre eux.

Les réserves et les Indiens qui y vivent ne sont pas les simples victimes du rouleau compresseur blanc. Et ce que l’on trouve sur les réserves ne se limite pas à des cicatrices, des larmes, du sang et de nobles sentiments. Il y a de la beauté dans la vie des Indiens, il y a aussi du sens et des liens tissées de longue date. Nous aimons nos réserves.

Sous les coups de boutoir de sa plume acérée, merveilleusement traduite par Danièle Laruelle, David Treuer transcende les étiquettes simplistes et les clichés. Ses mots entaillent le stéréotype de l’Indien «sauvage» au chômage, drogué, violent, alcoolique.

Indian Roads 

est un ouvrage indispensable pour quiconque s’intéresse ne serait-ce que de loin à la vie des Autochtones. «Comprendre les Indiens d’Amérique, c’est comprendre l’Amérique.»
Electra et Eva en parlent mieux que moi.Indian Roads, David Treuer, trad. Danièle Laruelle, Albin Michel, «Terres d’Amérique», 432 pages, 2014 [2012].

@Dan Koeck
J’ai lu cet essai dans le cadre de deux challenges: 50 États en 50 romans (État du Minnesota) et Nation indienne.Au même titre que Thomas King, Joseph Boyden et Eden Robinson, Tomson Highway est l’un des auteurs autochtones canadiens les plus importants.Surtout connu pour ses pièces de théâtre et ses albums jeunesse, il n’a écrit qu’un seul roman jusqu’à maintenant. Et quel roman!

Champion et Ooneemeetoo passent leur petite enfance dans la réserve indienne d’Eemanapiteepitat, au nord-ouest du Manitoba. À six ans, c’en est terminé du nomadisme, de la vie au grand air, de la chasse et de la pêche. Les enfants montent à bord d’un hydravion. Direction le pensionnat catholique. Pour ces enfants déracinés de force, le dépaysement est total. On leur coupe les cheveux. On leur interdit de parler leur langue maternelle. On leur apprend à prier et à craindre le diable. Même leurs noms cris sont mis de côté au profil de noms «plus civilisés».Jérémie et Gabriel tombent sous le joug des prêtres chargés de «tuer l’Indien» en eux.La nuit, certains enfants seront écrasés par l’ombre malveillante d’un prêtre.Une fois sorti du pensionnat, autour de quinze ans, Jeremiah se rend à Winnipeg. Là, il va à l’école et apprend le piano, espérant devenir le premier pianiste de concert cri. Il tente de faire table rase du passé, de couper ses racines et de se fondre dans un moule blanc bien rigide. Gabriel vient le rejoindre quelques années plus tard. Il deviendra un danseur de ballet à la carrière prolifique. Les deux frères en viennent à prendre des chemins parallèles. Mais ils finiront par se réunir à nouveau. Les liens du sang étant plus fort que tout.

Champion et Ooneemeetoo

n’est pas un roman misérabiliste, malgré la noirceur omniprésente. L’histoire est inspirée de la relation de l’auteur avec son défunt frère, le danseur René Highway.La période couverte par le roman (début des années 1950 jusqu’au milieu des années 1980) permet de rendre compte des transformations sociales et culturelles qui ont eu lieu au Canada.

Le style de Tomson Highway est vibrant. La prose, chantante et brute, est parsemée de pics d’humour. Les scènes d’un réalisme cru alternent avec des passages teintés de fantaisie et de poésie – la reine blanche veille sur les deux frères et leur rappelle qui ils sont. (À ce titre, le titre anglais est plus juste: The Kiss of the Fur Queen). La galerie de personnages est haute en couleur: Poupée joviale, Petit Goéland Ovaire, Jane Kaka McCrae, Annie Moostoos et son unique dent. Impossible de sennuyer avec de tels personnages!Champion et Ooneemeetoo a été l’un des premiers romans à aborder les abus physiques et sexuels perpétrés dans les pensionnats autochtones. Le premier à mettre en scène un cri homosexuel atteint du sida. Un roman marquant, à forte résonanceChampion et Ooneemeetoo, Tomson Highway, trad. Robert Dickson, Prise de parole, 360 pages, 2004 [1998]. 

J’ai lu ce roman dans le cadre de deux challenges: challenge Canada (Winnipeg) et Nation indienne.