Décès de l'écrivain allemand Edgar Hilsenrath

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Edgar Hilsenrath.


Les éditions Le Tripode annoncent le décès d'un de leurs auteurs:
"Edgar Hilsenrath est mort de vieillesse hier, 30 décembre 2018, à l'âge de 92 ans.
Nous étions nombreux à croire que son œuvre immense, qui naviguait entre Primo Levi, John Fante, Charles Bukowski et Dario Fo, en faisait l'un des écrivains européens contemporains les plus importants. Nous en redonnons ci-dessous les principaux repères, à l'aide d'un document qui devait accompagner la parution de son ultime roman en février prochain.
Edgar aimait la France, pays où il avait vécu après la fin  de la guerre et qui avait tardivement redécouvert son œuvre. Son dernier souhait aura été d'être enterré à Paris. Avec émotion, nous ne pouvons que nous faire le porte-voix de ce désir."


Sur le site d'Edgar Hilsenrath, très complet, on trouve cette triste annonce, par son ami le philosophe Ben Kubota, dont voici un extrait:
"Un événement incroyablement triste a emporté un être qui nous est cher. Le célèbre écrivain juif allemand Edgar Hilsenrath est décédé hier, le 30 décembre 2018, à l'âge de 92 ans. Edgar Hilsenrath - connu notamment pour le livre "The Nazi & The Barber", mais aussi "Night", "Le Conte de la dernière pensée" et "Fuck America" - a été l'un des écrivains contemporains les plus importants, voire le plus important. Il laisse une femme, Marlene Hilsenrath, un autre membre de la famille,moi, Ken Kubota, qui vivais avec lui, le soignais et prenais soin de son œuvre.
Le poète Edgar Hilsenrath est décédé des suites d'une pneumonie, qui a été causée par la vieillesse. Pas un seul jour de son séjour à l'hôpital ne s'est passé sans nous - Marlene et moi - ne versions des larmes amères.
Sa mort subite nous frappe tous plus fort que prévu. Le mois dernier, en novembre, nous nous sommes rendus à Paris pour une interview à l'invitation de la radio France Culture , où nous avons passé de belles journées. Bien sûr, Edgar était assez âgé à 92 ans, mais il avait une volonté de fer de vivre et appréciait la vie. Son âge était régulièrement sous-estimé. Il a toujours su exactement ce qu'il voulait.
Les jours de son dernier combat, incapable de penser à autre chose que la vie et la mort d'Edgar, m'ont offert l'occasion de réfléchir aux années communes, presque une décennie de vie commune. Ce texte en est le résultat. Jusqu'ici, l'objectif était de protéger la vie privée non seulement d'Edgar, mais également de Marlene et de moi-même. Le moment est venu de glisser quelques mots personnels sur la vie du poète. La règle générale est qu'aucune information ne soit divulguée, mais le public a maintenant le droit d'en savoir plus, non sur les projets en cours mais sur les projets passés, les réussites et les échecs, qui donnent une idée de l'importance du travail accompli. La réputation mondiale de cet écrivain de longue date impose aussi que non seulement ses amis et ses connaissances, mais aussi le monde entier, soient informés immédiatement (...)

Suivent trois moments du mois dernier, racontés au départ de trois photos.
Edgar Hilsenrath était né le 2 avril 1926 à Leipzig (Allemagne). Après avoir survécu à l'expérience du ghetto pendant la guerre, puis avoir vécu en Palestine et en France, il arrive à New York (sur le même bateau que Rita Hayworth) au début des années 50. Il travaille comme garçon de café et réduit ses besoins à l'essentiel, écrivant la nuit dans les cafétérias juives. Les éditeurs allemands craignant son approche très crue de la Shoah, il est d'abord publié aux États-Unis... À son retour en Allemagne, en 1975, un petit éditeur relève enfin le gant et un article du "Spiegel" le rend célèbre du jour au lendemain. Depuis, il accumule les prix et les reconnaissances institutionnelles.
L'écrivain a été remis en lumière en français par les éditions Attila dès 2009. Les deux éditeurs ayant séparé leurs chemins, c'est le catalogue du Tripode de Frédéric Martin qui a repris par la suite l'œuvre d'Edgar Hilsenrath. Sept livres sont parus en grand format et parfois en version de poche. Un ultime, "Terminus Berlin" est prévu pour 14 février prochain.
Fuck America
Les Aveux de Bronsky
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Jörg Stickan
Attila, 2009
Point2, 2016
Le Tripode, 2014
Un témoignage étourdissant sur l'écrivain immigré crève-la-faim. 1952: dans une cafétéria juive de Broadway, Jakob Bronsky, tout juste débarqué aux Etats-Unis, écrit son roman sur son expérience du ghetto pendant la guerre: Le Branleur! Au milieu des clodos, des putes, des maquereaux et d'autres paumés, il survit comme il peut, accumulant les jobs miteux, fantasmant sur le cul de la secrétaire de son futur éditeur, M. Doublecrum.
Le Nazi et le Barbier 
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb
Fayard, 1974
Attila, 2010
Le Tripode, 2018
Ce roman magnifique conte l'histoire tragi-comique de Max, fils bâtard de la pute Minna Schulz. Engagé dans la SS dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir, il se retrouve finalement affecté dans un camp d'extermination où disparaît son meilleur ami (juif). A la fin de la guerre, pour s'en sortir, il décide d'endosser l'identité de cet ami assassiné. Devenu Itzig Finkelstein, il épouse la cause juive, traverse l'Europe et rejoint la Palestine, où il devient barbier et sioniste fanatique...
Nuit 
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb
Attila, 2012
Le Tripode 2014 et 2015
Resté censuré en Allemagne près de 20 ans, ce roman est aujourd'hui considéré comme le chef-d'œuvre d'Edgar Hilsenrath. Son style, mécanique, concis, halluciné, est quasiment cinématographique. C'est la nuit permanente sur le ghetto de Prokov. Au fil des jours, dans un décor apocalyptique, Ranek lutte pour sa survie. Les personnages sont réduits à des ombres... comme s'ils n'avaient plus ni âme ni corps. Pourtant, dans ce brouillard permanent, surnagent des éléments de vie, la faim, le froid, les scènes d'amour hâtives, de pendaisons (ratées) ou d'accouchement au milieu du ghetto montrent que l'humanité demeure. Hilsenrath s'est inspiré pour "Nuit" de sa propre histoire, et du ghetto ukrainien où il a passé quatre ans entre 1941 et 1945. C'est d'ailleurs la genèse de ce livre, qu'il a réécrit vingt fois entre 1947 et 1958, qui est racontée dans "Fuck America".
Orgasme à Moscou
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb
Attila, 2013
Le Tripode, 2017
Une parodie de roman d'espionnage écrite en réponse à une commande d'Otto Preminger. Guerre froide, 1970. La fille du patron de la mafia new-yorkaise, Anna Maria Pepperoni, connaît son premier orgasme lors d'un voyage de presse à Moscou. Le responsable? Sergueï Mandelbaum, fils de rabbin et dissident juif fauché doté d'une étonnante propension à susciter des orgasmes. La mafia met tout en œuvre pour le faire venir aux Etats-Unis afin d'épouser Anna Maria, mais le passeur qu'elle a recruté est un dangereux dépeceur sexuel. Les obstacles, et pas seulement diplomatiques, s'accumulent... Ecrite en six jours, cette réécriture déjantée d'OSS 117 livre une mémorable surenchère burlesque. Truffé de références à la situation politique de l'époque, le livre, dénué de (presque) tout sérieux, est un divertissement électrique sur fond de guerre froide.
A côté de toute une mafia de pacotille, le livre met aussi en scène Brejnev, Nixon, Moshe Dayan et le président du conseil italien, obsédé sexuel (déjà!).
Le Conte de la dernière pensée
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Bernard Kreiss
Albin Michel, 1992
Le livre de poche, 2007
Le Tripode, 2015
L'épopée du peuple arménien, dans la tradition des contes orientaux, est construite autour d'une saga familiale où histoire, légendes, politique et fiction s'entremêlent pour raconter le grand massacre des Arméniens par les Turcs, qui n'est pas sans évoquer l'holocauste perpétré dans les camps nazis.
Le Retour au pays de Jossel Wassermann
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Christian Richard
Albin Michel, 2007
Le livre de poche, 2008
Le Tripode, 2016
Un froid glacial s'est abattu sur le village de Pohodna. Les habitants juifs du shtetl ont reçu l'ordre de rejoindre le wagon qui les attend à la gare. A l'intérieur, oubliant l'obscurité et la crainte, le rabbin confie à l'esprit du vent: "Les goys sont stupides. En ce moment ils pillent nos maisons. (...) Mais ils ne savent pas que nous avons emporté le meilleur." "Et c'est quoi, le meilleur? " demande le vent.
Et le rabbin de répondre: "Notre histoire. Elle, nous l'avons emportée avec nous."  L'auteur réincarne ici l'univers des shtetls, ces petites communautés juives éparpillées dans l'est de l'Europe avant que la Deuxième Guerre mondiale et la Shoah ne les réduisent à néant. Roman tardif, il est peut-être le plus émouvant de tous par son humble drôlerie et son désir de faire revivre un monde qui a bercé l'enfance et l'imaginaire d'un écrivain désormais culte.
Les aventures de Ruben Jablonski
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Chantal Philippe
Le Tripode, 2017
Arraché à l'insouciance et l'espièglerie de l'enfance par la terreur nazie, le jeune Ruben Jablonski se retrouve à la sortie de la Seconde Guerre mondiale dans une situation désespérée. Libéré d'un ghetto, séparé de sa famille et à la recherche d'un nouveau destin, il s'engage dans un périple épique qui le conduit de la Roumanie aux Etats-Unis, en passant par l'Ukraine, la Turquie, la Palestine et la France...
Les réminiscences enfantines, l'humanité qui survit à l'horreur et l'amour de la littérature pour unique boussole confèrent une force et un humour rares à ce roman écrit en 1997 et il fait la bouleversante synthèse des quinze années qui ont vu sa vie basculer.
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Terminus Berlin
Edgar Hilsenrath
traduit de l'allemand par Chantal Philippe
Le Tripode, 230 pages
à paraître le 14 février 2019
Écrivain de la Shoah et de l’exil, Edgar Hilsenrath livre ici son roman le plus poignant, celui du retour désenchanté en Allemagne. Son héros retrouve, comme lui, le pays natal près de trente ans après avoir quitté l'Europe et ses fantômes. Le temps est venu de faire le bilan d’une vie tourmentée.
Fidèle à son humour, Hilsenrath raconte avec un sens aigu de la dérision le destin de son alter ego littéraire. Lesche, traumatisé par son expérience du ghetto, peine à trouver sa place dans un Berlin marqué par le consumérisme et la chute du Mur. Les rencontres improbables et la résurgence glauque du fascisme forment la trame de ce roman publié en Allemagne en 2006.
Lapidaire et ironique, ce texte émeut par la figure de clown triste que l'auteur y révèle. Après l’avoir écrit, Edgar Hilsenrath décida que son œuvre était close. Il n'a plus rien publié depuis.
"Quand on écrit quelque chose pour se débarrasser l'âme, on en est définitivement libéré. L'écriture est une libération pour moi."
 Edgar Hilsenrath