Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt 2018

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Le Goncourt 2018 arrive chez Drouant.


Qui aurait parié sur le fait que le prix Goncourt puisse être attribué deux années de suite au même éditeur? Pas grand monde. C'est pourtant ce qui est arrivé aujourd'hui, mercredi 7 novembre, puisque le Goncourt 2018 a été décerné au quatrième tour de scrutin, par six voix contre quatre à Paul Greveillac, à Nicolas Mathieu pour son deuxième et agréablement épais roman, "Leurs enfants après eux" (Actes Sud, 426 pages). Une excellente nouvelle pour la littérature et les lecteurs. Il succède au palmarès à Eric Vuillard, Goncourt 2017 pour "L'Ordre du jour" (Actes Sud, lire ici).
Le jury de l'Académie Goncourt se compose actuellement de Bernard Pivot, président, Didier Decoin, Françoise Chandernagor, Tahar Ben Jelloun, Patrick Rambaud, Pierre Assouline, Philippe Claudel, Paule Constant, Éric-Emmanuel Schmitt et Virginie Despentes.

"Leurs enfants après eux" est une des bonnes surprises de la rentrée. Un roman qui vous prend et vous emporte. Un roman d'aujourd'hui alors que le passé n'est jamais autant entré dans les fictions que cette année. "Leurs enfants après eux" est le roman d'une jeunesse déboussolée dans un monde qui bouge, change et meurt. On est dans la France de l'Est, celle qui a vu naître l'auteur en 1978. Des gens qui triment trop, s'usent, des gens qui aiment à se brûler, observés par un adolescent de quatorze ans. En quatre étés, étiquetés de chansons, ceux de 1992 ("Smells Like Teen Spirit"), 1994 ("You Could Be Mine"), 14 juillet 1996 ("La fièvre") et 1998 ("I Will Survive"), de moins en moins longs avec le passage des ans, Nicolas Mathieu raconte des vies, des humains, des espoirs et des désespoirs, des joies et des tristesses. Des petites vies comme elles vont, cahin-caha, dans leur petit coin de France, minuscule face à la mondialisation galopante. Une merveille.

Nicolas Mathieu.
(c) Bertrand Jamot.

Nicolas Mathieu écrit ceci à propos de son livre.
"AU DÉPART, ON POURRAIT TENTER CETTE HYPOTHÈSE: un roman, ça s'écrit toujours à la croisée des blessures. Ici, j'en verrais trois, disons les miennes.
D'abord, l’adolescence. J'ai été cet enfant qui finit, qui rêve de sortir avec la plus belle fille du bahut, et veut sa part du gâteau. Et puis la plus belle fille ne veut rien savoir, le monde reste insaisissable, le temps passe et c'est encore le pire. Il y aura des étés, des flirts, les poils qui poussent, la voix qui mue. Ce sera le plus beau de la vie, et le plus cruel aussi. Dans une histoire, j'essaierai de mettre des mots là-dessus, la cicatrice à partir de quoi tout commence. 
L'autre plaie, ce serait celle du social et des distances. Quand j'étais petit, on m'a raconté un mensonge, que le monde s'offrait à moi tel quel, équitable, transparent, quand on veut on peut. Mais un jour, peut-être grâce aux livres, le voile s'est déchiré et j'ai commencé à comprendre. Cette leçon des écarts, des legs et des signes distinctifs, cette vérité des places et des hiérarchies, ce sera mon carburant.
Enfin, il y a ce départ. Je suis né dans un monde que j'ai voulu fuir à tout prix. Le monde des fêtes foraines et du Picon, de Johnny Hallyday et des pavillons, le monde des gagne-petit, des hommes crevés au turbin et des amoureuses fanées à vingt-cinq ans. Ce monde, je n'en serai plus jamais vraiment, j'ai réussi mon coup. Et pourtant, je ne peux parler que de lui. Alors j'ai écrit ce roman, parce que je suis cet orphelin volontaire."

Avec Nicolas Mathieu et "Leurs enfants après eux", c'est la quatrième fois qu'Actes Sud remporte le Goncourt. L'avaient précédé Eric Vuillard en 2017 ("L'ordre du jour"), Jérôme Ferrari en 2012 ("Le Sermon sur la chute de Rome", lire ici) et Laurent Gaudé en 2004 ("Le Soleil des Scorta").
Les finalistes du prix Goncourt 2018
  • David Diop, "Frère d'âme" (Seuil)
  • Paul Greveillac, "Maîtres et esclaves" (Gallimard)
  • Nicolas Mathieu, "Leurs enfants après eux" (Actes Sud)
  • Thomas B. Reverdy, "L'hiver du mécontentement" (Flammarion)