Asta de Jon Kalman Stefansson

Par Krolfranca

Asta

Jon Kalman Stefansson

Traduit de l’islandais par Eric Boury

Grasset

489 pages

« Certains trouvent le monde plus beau quand il pleut, d’autres affirment que le ciel semble empli de larmes, ce qui les attriste. Qui a raison, qui a tort ? »

Quel texte ! Ouh la la ! J’ai adoré et j’aurais aimé que le livre soit bien plus long ! J’ai freiné des deux pieds cent pages avant la fin, ne souhaitant pas sortir de cet univers, de cette narration. J’ai pris mon temps pour déguster les dernières pages. J’ai étiré le temps.

Tout a été écrit sur l’amour ? Et bien non. Stefansson réinvente ce terme galvaudé et qui peut parfois refléter tant de niaiseries. Helga, Asta, deux personnages passionnés, qu’on aime à la folie et qui aiment à la folie mais qui sont incapables d’aimer avec mesure. Ce sont des passionnées, des femmes pleines de souffrance, de vie.

J’ai aimé me perdre (mais pas tant que ça) dans la narration éclatée, au gré des souvenirs qui abreuvent le cerveau d’un homme tombé d’une échelle. Eclatée parce que notre cerveau ne cesse d’osciller entre le présent et nos passés multiples, parce qu’une image en appelle une autre… souvenirs qui se mêlent aux hallucinations d’un homme qui se meure.

« Si tant est que ça l’ait été un jour, il n’est désormais plus possible de raconter l’histoire d’une personne de manière linéaire, ou comme on dit, du berceau à la tombe. Dès que notre premier souvenir s’ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les événements passés que dans le présent. »

Posez-vous un instant, laissez vos pensées vagabonder et vous constaterez qu’elles vont et viennent dans le temps sans aucun respect chronologique.

Asta regrette, toute sa vie, elle regrettera, toute sa vie, elle accumulera les regrets de n’avoir pas su, pas su dire à sa nourrice qu’elle l’aimait, pas su aimer, se laisser aimer par, un père, un amant, une fille, une mère. Asta est l’image même d’une défragmentation, Asta nous explose à la figure, Asta a touché ce qu’il y avait de plus profond en moi. Je me suis délectée de chaque mot, de chaque page, j’avais même l’impression que certains passages étaient écrits pour moi, n’est-ce pas là le summum de la réussite romanesque ?

« Pour tromper le monde, je m’habille avec élégance chaque fois que je sors. J’allume mon sourire. Je maquille un peu ma tristesse puis je mets mes lunettes de soleil pour que personne ne remarque ton absence au fond de mes yeux. »

Stefansson écrit l’amour, la difficulté d’aimer, de le dire, de le vivre. Les personnages croisés ça et là sont aussi touchants les uns que les autres, aussi fragiles, comme cette vieille femme qui ne se réveille pas toujours à la même époque ou comme son fils si cruellement proche d’elle, si aimant, si empli de désarroi.

C’est beau, je me suis régalée sans retenue, avec démesure, j’avais l’impression de me nourrir. J’ai tout aimé sans restriction, sans bémol, tout.

J’ai aimé les incursions de l’auteur, les titres des chapitres, les pointes d’humour mais aussi la détresse, la poésie des mots, et la justesse des réflexions, le regard porté sur le monde.

C’est passionné, c’est passionnant, c’est vivant.

Et des paroles qui semblent évidentes et que je n’ai pourtant jamais lues, notamment sur « avoir hâte », hâte de vivre, hâte de se réveiller auprès de l’être aimé, et pourquoi pas hâte de découvrir un nouveau roman de Stefansson !

Ce roman est sans conteste possible le plus beau de la rentrée littéraire (parmi ceux que j’ai lus bien sûr !)

Jérôme a de nouveau été conquis par un auteur dont il a tout lu, Moka a découvert Stefansson avec ce titre, et elle en parle magnifiquement bien. Folavril a trouvé que c’était un roman d’une beauté renversante, Fanny s’est laissé prendre par les phrases poétiques et sensibles.