Nada

Par Un_amour_de_bd @un_mour_de_bd

Chronique « NADA »

Scénario de MAX CABANES & DOUG HEADLINE, d’après le roman de JEAN-PATRICK MANCHETTE
Dessin et couleurs de MAX CABANES

Public conseillé : Adultes

Style : Polar politique et réaliste
Paru le 5 octobre 2018 aux éditions Dupuis,
192 pages couleurs,
28,95 euros

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Ca commence comme ça…


Epaulard, un quinqua’ qui a bourlingué, a rendez-vous dans un bar, en face du jardin des Tuileries. Il y retrouve d’Arcy et s’enferme avec lui dans sa voiture pour parler. D’Arcy annonce la couleur. Avec des camarades, il vont se faire l’ambassadeur des États-Unis. Épaulard ne veut pas entendre ces conneries. Il claque la porte et l’envoie chier…
A Bagneux, Treuffais est professeur de philosophie dans un lycée privé. Il impose au jeune Ducatel, un fils à papa, un exposé sur Gabriel Marcel. A la sortie, il se fait arroser par la Ford Mustang du petit con. Dans la circulation, quand un papy à moto tente de l’emmerder, il n’hésite pas à sortir, couteau au poing, pour le faire taire…
De retour dans son petit intérieur bourgeois, Treuffais reçoit le coup de fil de d’Arcy. Rdv ce soir avec la bande.

Ce que j’en pense


Avec «Nada», Max Cabanes adapte pour la troisième fois un roman de Jean-Patrick Manchette, la tête de pont des neo-polars des années 70, aux accents fortement politisés, voire anarcho. Ce travail est une véritable déclaration d’amour pour le travail du romancier, qu’il partage avec Doug Headline, le fils de Manchette.

Avec ce gros, très gros et dense pavé, les auteurs nous font vivre de l’intérieur le groupe gaucho extrémiste Nada (« Rien » en espagnol). C’est un portrait intense de 5 hommes (6 en fait) et une femme aux motivations toutes personnelles et différentes les uns des autres. Car le roman et album nous rappellent dans la douleur que derrière les actions violentes (même si elles sont impardonnables), il y a des individus. C’est toute la complexité de ces individualités que Max, Doug et Manchette nous font toucher du doigt. Entre Épaulard, le quinquagénaire qui a déjà trop bourlingue, Buenaventura, l’espagnol pur et dur, Treuffais, le prof de philo aux idées romantiques ou Véronique Cash, la belle fille qui se prend pour une pute, les portraits sont subtils et détaillés.

Ces six là se retrouvent pour une action coup de poing, on parlerais de terrorisme aujourd’hui. Leur idée, c’est d’enlever l’ambassadeur américain et demander une forte rançon. Pourtant, personne n’est dupe. La cible n’est pas choisie au hasard et l’issue de l’enlèvement très certainement mortelle. C est une forme de nihilisme, vécu avec un fatalisme incroyable que nous suivons pas après pas, de la préparation jusqu’à son dénouement…

Pour raconter l’action violente, Max Cabanes et Doug Headline collent au texte de Manchette. C’est dense, purement factuel et émaillé de hors textes, qui déroulent les mots sans pitié du romancier. Coupé au tranchoir, tendu comme un string et noir comme un café-calva, bienvenue dans le monde désenchanté et terriblement vrai de Nada.

Derrière ce récit violent, Manchette distille une critique de la société. Celle des groupes anarchistes qu’il connaissait parfaitement bien et en partageait (partiellement) les idéaux, mais aussi de l’état et ses grognards (en l’occurrence le commissaire Goémond), qui se révèle encore plus violent et sans morale que les « ordures » qu’il traque… Ça tape sur tout le monde, avec une clairvoyance qui fait peur…

Au dessin, Cabanes nous offre un trait nerveux et pointu, des cases cut, un enchaînement dynamique, tout ce qu’il faut pour nous tenir en haleine au long de ce pavé graphique. La mise en couleur assurée par ses soins est volontairement irréaliste et glaciale. On baigne dans des camaïeux de bleus froids, rehaussés de quelques éclats rouge sang, qui continue d’ambiancer le récit.

Alors, prêt pour un plongeon dans le monde violent et politique des groupes extrémistes des années 70 ? Manchette est là pour vous servir de guide, Doug Headline et Cabanes en sont les dignes fils (spirituels).

Cette chronique fait partie de la « BD DE LA SEMAINE ». Réunion chez Moka, cette semaine.