Manuel de survie à l'usage des jeunes filles · Mick Kitson

Par Marie-Claude Rioux

Sal, treize ans, et Peppa, sa demi-soeur de dix ans, prennent leurs jambes à leur cou et s’enfoncent dans les forêts des Highlands. Elles ne vont pas faire du camping, que nenni. Elles fuient le grand méchant loup. Sal veut à tout prix protéger sa soeur Peppa des griffes de leur beau-père. Elle a tout prévu. Ça fait des lustres qu’elle a préparé son coup. Cette jeune ado mature n’a pas passé son temps à regarder des feals sur YouTube. Sa soif d’apprendre avait un autre but. «Presque tout ce que je sais, je l’ai appris sur Wikipédia et sur des sites Internet qui parlent de choses qui m’intéressent, et aussi grâce à des vidéos sur YouTube et à la télé.»Les deux soeurs s’enfoncent dans la forêt, parées pour chasser et pêcher, faire un feu et construire un abri. Elles marchent huit kilomètres avant de poser leurs sacs à dos. «Survivre se résume en grande partie à prévoir, prendre le temps de réfléchir, prévoir, essayer de voir ce qui peut mal tourner et imaginer ce qui se passera si les choses changent.» Mais même si leur besoin de fuir et leur envie d’aller de l’avant est sans bornes, les embuches leur tomberont sur la tête. C’est que la vie d’ermites en fuite et la survie en forêt ne sont pas à la portée de tous...

·  ·  ·         ·  ·  ·         ·  ·  ·Encore un roman ayant pour point de départ des ados vivants en forêt? Comme la Turtle de My Absolute Darling me reste encore en travers de la gorge, j’avais le pied sur le frein en ouvrant Manuel de survie à l’usage des jeunes filles. Mais une fois les premières pages lues, je me suis complètement prise au jeu.Le premier roman de Mick Kitson n’est certes pas sans quelques faiblesses, mais ses qualités le rachètent haut la main.D’abord, la force des personnages. Sal porte le roman sur ses épaules. La voix de cette jeune ado sonne parfaitement juste. Je me suis fortement attachée à cette grande soeur protectrice, ce bout de fille vissé à sa petite soeur. Toutes les femmes du roman ont une voix forte; ce sont des battantes qui ne s’apitoient jamais sur leur sort. Si les hommes ont le mauvais rôle, il y en a un dont la bonté est sincère et authentique. Ça équilibre les choses! Il y a du gris, ici. Tout nest pas noir ou blanc.Le style de Mick Kitson est concis et efficace. Les descriptions de la survie en forêt sont détaillées, elles résonnent de réalisme. J’ai lu ce roman en apnée, en retenant mon souffle tout du long. J’ai craint les craquements des branches, j’ai senti le froid me traverser les os, j’ai frémi en entendant les pales des hélicoptères, j’ai failli tomber dans les pommes devant un monstrueux brochet. En somme, jy étais!

À mes yeux, deux petites échardes dépassent du roman... Mais si on accepte d’être bon public et de mettre la pédale douce sur la crédibilité, elles se révèleront indolores. Parce que, veut veut pas, il y a un fossé entre la théorie et la pratique... Jai trouvé que les deux jeunes soeurs s’en sortaient vraiment bien, côté survie. De plus, j’ai trouvé l’arrivée – pile au bon moment – d’une bonne fée, une vieille hippie familière avec la vie en forêt et les vertus des plantes médicinales, un tantinet tirée par les cheveux Disons que c’était commode que cette retraitée soit médecin plutôt que secrétaire!Contrairement à la Turtle de Gabriel Tallent, je garderai longtemps à l’esprit Sal et Pepper. Et si je me perds en forêt, je penserai à elles! Un premier roman qui porte l’amour sororal, la résilience, le pardon.Dans un entretien accordé au magazine Page des libraires, Mick Kitson disait:J’ai toujours voulu écrire un roman et j’ai lu énormément de romans que je n’ai pas aimés ou dont je trouvais le style ou le sujet ennuyeux. Alors, j’ai décidé de m’y mettre moi-même! J’ai essayé d’écrire le livre que j’aimerais lire.Je serais bien curieuse de savoir si certains romans ont su retenir son attention!Virginie et Electra sont aussi enthousiastes que moi.Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, Mick Kitson, trad. Céline Schwaller, Métailié, 240 pages, 2018.