Dans les eaux du Grand Nord · Ian McGuire

Par Marie-Claude Rioux

Au milieu du XIXe siècle, un baleinier du Yorkshire, le Volunteer, s’apprête à gagner les eaux tumultueuses du cercle polaire arctique. Le chirurgien Patrick Sumner, dont la réputation en a pris un coup lors d’un incident survenu en Inde pendant la guerre, se joint à l’équipage du navire. Les autres membres de léquipage sont des vieux de la vieille, avec de l’expérience dans le corps. Alors qu’ils se rendent dans les eaux menaçantes de l’Arctique, la tension monte à bord. Les couteux volent bas. La mort d’un jeune mousse vient ajouter de l’huile sur le feu. La glace menace de paralyser le navire et ce qui reste de l’équipage joue du coude pour survivre. Il ny a pas de lumière, ici, pas de répit non plus.La malédiction plane et l’expédition tourne au cauchemar.
Ian McGuire a dépoussiéré le passé. Il a chaussé ses bottes daventurier pour broder une histoire macabre qui tient à la fois du roman daventure et du thriller historique. La force implacable de son roman tient dans son rythme soutenu: celui du marin entêté, qui fait face à la barbarie des hommes et à la nature impitoyable.Étalée sur le pont, monticule de fourrure ensanglantée, l’ourse fume comme la pièce de résistance d’un banquet gargantuesque à peine imaginable. Brownlee renverse le tonneau, d’où l’ourson s’évade, ses griffes crissant sur le pont de bois. Après un moment où il tourne, paniqué, désorienté (les hommes grimpent en riant dans les gréements pour lui échapper), il voit le corps de sa mère et court vers elle. Il pousse son flanc avec son museau et se met à lécher vainement la fourrure souillée de sang. Brownlee regarde. L’ourson gémit, renifle, puis se niche à l’abri du cadavre maternel, flanc contre flanc.

Je pourrais dire que Ian McGuire beurre épais sur la violence et la brutalité. Mais ce déchaînement de violence sinscrit dans un contexte. La chasse dans l’Arctique, à l’époque, ne devait pas être une sortie à Disneyland. Idem pour la vie à bord d’un baleinier peuplé d’hommes. Les descriptions sont saisissantes et... peu ragoûtantes. La crasse dégouline, l’entre-jambe ne sent pas le parfum: la puanteur coupe le souffle. Certaines scènes m’ont retourné l’estomac, voire amené le coeur au bord des lèvres.Les personnages sont bruts, dessinés à gros traits. Mais ça fonctionne. Il y a les bons, les méchants et les très méchants. Il n’y a pas de sauveurs ni de héros. C’est un portrait de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus crasse. Sauver sa peau avant tout et à n’importe quel prix.Ian McGuiredresse le portrait réaliste d’une époque et d’un métier en voie de s’éteindre. L’ère industrielle est définitivement en train de naître. Le style de Ian McGuire estsimple et efficace, sans grand effet de style, mais chargé d’une rare puissante d’évocation, rendant l’intrigue de bout en bout tendue, haletante. Sélectionné en 2016 sur la longlist du Man Booker Prize, Dans les eaux du Grand Nord se révèle une expérience de lecture palpitante et brutale, remplie de testostérone. Nature sensible, prends tes jambes à ton cou et cours !Dans les eaux du Grand Nord, Ian McGuire, trad. Laurent Bury, 10-18, 312 pages, 2017.