N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell

Par Krolfranca

N’essuie jamais de larmes sans gants

Jonas Gardell

Traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach

Gaïa

Juin 2018 en version poche

845 pages

Il est très rare que j’écrive un billet sur un livre lu depuis plusieurs semaines. D’ordinaire, je bafouille quelques mots dès que j’ai tourné la dernière page. J’ai une mémoire défaillante et j’oublie vite, bien trop vite ce que je lis, alors je ne perds pas de temps. Soit je suis inspirée et j’écris tout de suite, soit je n’ai rien à dire et je me tais. Ici, je pensais ne rien avoir à écrire. J’étais bouleversée. Mais quels mots choisir pour parler de ce sentiment si profond ressenti à la lecture de ce roman ? Et puis, le temps faisant son œuvre, je me suis dit qu’il fallait que ce livre soit lu, et que si je pouvais inciter ne serait-ce qu’une seule personne à le lire, et bien ça serait déjà pas mal.

Car ce roman-là, il est bel et bien resté ancré dans un coin de mon cerveau et de mon cœur.

D’ailleurs c’est bien un livre sur la mémoire dont il s’agit finalement, un livre qui permet de se rappeler à quel point les homosexuels ont été malmenés à l’apparition du sida (et pas seulement en Suède). C’était bien fait pour eux. Ils ne l’avaient pas volé. Juste punition divine. A quel point on disait n’importe quoi, par ignorance, par rejet de l’autre, par peur.

« Raconter est une sorte de devoir. Une manière d’honorer, de pleurer, de se souvenir. Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l’oubli. »

C’est un roman extrêmement bien documenté. L’auteur intègre dans son récit des articles de journaux, des paroles prononcées par des médecins, des religieux, des hommes politiques.

« Ce qui est raconté dans cette histoire s’est réellement passé »

C’est donc un témoignage, que tout auteur de n’importe quel lieu du monde pourrait faire. Un témoignage terriblement universel.

C’est aussi une superbe histoire d’amour entre Rasmus et Benjamin, l’un sort de sa campagne, l’autre est témoin de Jéhovah. Deux personnages en quête d’identité.

Ce roman est fort, puissant. On suit tous ses personnages, de plus fantasque au plus amoureux, du plus novice au plus expérimenté, avec un intérêt croissant. On les accompagne sur le chemin de la mort, et on pleure avec ceux qui restent.

C’est un livre remarquablement construit, loin d’une linéarité ennuyeuse. Le premier chapitre ne s’éclaire que bien plus loin, quand on comprend qui est le personnage dont on parle. L’auteur ne ménage pas son lecteur, il n’enrobe pas, il dit la maladie, il dit les passes, il dit le sexe, il dit la souffrance, il dit l’alcool, il dit l’amour. Ce livre, sans être larmoyant, met des mots simples sur des situations complexes. Il est bouleversant.

Mais on ne fait pas que pleurer, on rit aussi des situations cocasses (et il y en a beaucoup), comme dans une tragi-comédie.

Et puis ce titre ! Qui traduit parfaitement la situation.

C’était mon troisième pavé de l’été…