Un chemisier nommé désir

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Le chemisier (Bastien Vivès – Editions Casterman)

Séverine est ce qu’on pourrait appeler une étudiante sans histoires. Que ce soit sur les bancs de la Sorbonne, dans la rue ou même dans sa propre famille, personne ne fait vraiment attention à elle. La jeune femme semble incolore et insipide aux yeux de son entourage. Tout le monde la voit sans la voir. C’est pire encore dans le chef de Thomas, son petit ami avec qui elle partage un appartement, qui la délaisse totalement au profit des séries et des jeux vidéo. Et puis un jour, tout bascule lors d’un baby-sitting chez des amis de ses parents. Eva, la petite fille dont elle s’occupe, vomit tout le contenu de son repas sur le t-shirt de Séverine. Revenu plus tôt de sa soirée après s’être engueulé avec sa femme, Patrick – le papa de la petite fille – prête alors un chemisier à la jeune étudiante. Un magnifique chemisier en soie, qui lui va à ravir. D’une minute à l’autre, ce simple vêtement va transformer la vie de Séverine, en mettant en valeur sa poitrine et sa taille fine et en lui donnant une classe et une élégance insoupçonnées. Désormais, les hommes posent sur elle un regard différent, chargé de désir. Son prof de fac, qui ne connaissait même pas son nom il y a encore une semaine, trouve subitement qu’elle est brillante. Les amis de son copain sont hypnotisés par sa présence. Les hommes l’abordent en rue ou aux terrasses de café. Ce morceau de soie serait-il doté d’un pouvoir magique? Grâce à lui, Séverine ne cesse en tout cas de prendre de l’assurance et semble comme désinhibée… tout en développant une véritable addiction à son fameux chemisier.

Après le formidable « Une soeur », le nouveau roman graphique de Bastien Vivès était forcément attendu avec une grande impatience. Alors que « Une soeur » évoquait la découverte de la sexualité par un adolescent, « Le chemisier » aborde ce même thème de l’éveil sexuel du point de vue d’une jeune adulte. Séverine, une étudiante un peu terne, se transforme subitement en femme fatale grâce à un simple chemisier. Avec ce vêtement magique, on est à mi-chemin entre le précieux Anneau de Tolkien et « Le Déclic » de Manara. L’auteur de « Polina » et de « Lastman » a-t-il une nouvelle fois répondu aux attentes? A-t-il mis la barre encore plus haut? La réponse est mitigée: oui et non. Certes, « Le chemisier » est un roman graphique fascinant, ne fût-ce que pour la qualité toujours remarquable des dessins de Vivès et pour l’originalité de cette histoire, mais il faut bien reconnaître que c’est un livre un peu désarçonnant, dans lequel on a parfois du mal à s’attacher aux personnages. Avec « Le chemisier », le golden boy français de la bande dessinée pousse le curseur encore plus loin dans l’exploration de ses fantasmes, quitte à flirter par moments avec le porno pur et simple. On connaissait déjà la passion de Vivès pour les femmes à forte poitrine, on découvre avec cet album qu’il aime aussi les femmes bourgeoises qui portent des vêtements en soie. C’est beau, c’est sensuel, c’est contemporain, mais cela reste une vision très masculine de la sexualité féminine. Il y a d’ailleurs fort à parier que cette BD plaira certainement plus aux hommes qu’aux femmes.