Un homme (l’Enquêteur), arrive dans une ville (la Ville), pour mener une enquête suite au décès par suicide d’une vingtaine de personnes au sein d’une entreprise (l’Entreprise). Dès sa sortie de la gare, les évènements vont se succéder entrainant l’homme dans un tourbillon incompréhensible, sans queue ni tête mais toujours négatif, comme si les gens, les choses, la ville ou la météo se liguaient contre lui…
Ce n’est pas si souvent qu’on tombe sur un roman hors du commun, loin de ces bouquins se ressemblant tous peu ou prou et qui lassent le lecteur. Ici, de la première à la dernière ligne, vous garderez les yeux écarquillés, ébahis et surpris par chaque situation, avides de connaitre le dénouement, en supposant qu’il vous éclaire… ? En gros je suis passé de l’étonnement inquiet et kafkaïen aux sourires tels qu’ils nous viennent à regarder Jacques Tati dans Mon Oncle, ou un film des Monty Python, avant de replonger dans une légère angoisse résultant de l’ouverture philosophique/métaphysique pessimiste de l’épilogue.
Le roman ignore les noms propres, les gens sont nommés selon leur emploi (L’Enquêteur, le Policier, le Gardien…) et les lieux de même (La Ville, l’Entreprise…) ce qui glace et inquiète immédiatement tout en étant tempéré par des situations drôles (« Le Policier tendait un seau en plastique rose à l’Enquêteur. Celui-ci le saisit sans comprendre. Le Policier en attrapa un autre, un bleu, le retourna et s’assit dessus. « Allez-y, n’ayez pas peur, ils sont assez solides et finalement très confortables. On ne m’a pas encore livré les chaises » »).
L’Enquêteur, un homme quelconque et falot, tentera désespérément tout du long du livre de mener à bien sa mission. Mais les obstacles les plus extravagants/inimaginables vont se dresser sur sa route, de sa chambre d’hôtel si petite que la table de chevet est posée sur le lit et le téléphone fixé au plafond ; la météo neigeuse le soir et chaude en journée ; quand à l’Entreprise, pièces et couloirs sans fenêtres ni fin, interlocuteurs aimables ou pas mais ne répondant jamais à ses besoins… Fourbu, balloté, dépenaillé, blessé, affamé, l’Enquêteur inexorablement cherche à parvenir à son but. Il ne sait plus où il est, ce qui se passe, et ce n’est pas le lecteur qui va l’aider…
Et puis vient l’épilogue, qui éclaire un peu ce qu’on voyait venir en filigrane. Le roman est une métaphore sur la condition humaine, sur la déshumanisation de notre monde (l’Entreprise); plusieurs fois au cours de la lecture, dans ce fatras d’incompréhensions diverses, des détails ou de petits faits nous rappelaient notre vie de tous les jours, et ce qui ressemblait à une histoire hors du temps, n’en devenait que plus proche de nous par ces minuscules points de contact. In fine, l’Enquêteur rencontrera l’Ombre ou le Fondateur de l’Entreprise, un avatar de Dieu, un vieil homme usé, voire désabusé sur l’avenir de sa création, au point de baisser les bras et de s’en désintéresser : « Qu’ils se débrouillent ! »
Un excellent roman.