Les grands peintres de l’Allemagne de l’Est

Par Laure Zehnacker
Willi Sitte

Ils s’appelaient Wolfang Mattheuer, Werner Tübke, Bernhard Heisig, Willi Sitte ou encore Arno Rinke. Ils avaient parfois le privilège de vivre dans les grands appartements stalieniens de la Karl Marx Allee à Berlin. Leurs excentricités n’en étaient pas moins contentées, même s’il ne s’agissait que de rouler en Peugeot.

Leur point commun ? Ils sont des artistes peintres de la RDA ou ancienne Allemagne de l’Est. Leur réputation prend la poussière depuis la chute du mur, car la couleur et l’audace de leurs peintures ne sciaient pas tout à fait à l’image qu’on a voulu diffuser de l’Allemagne de l’Est.

Des artistes en Allemagne de l’Est ? Non, vous n’y pensez pas !

Il y a longtemps, quand je vivais dans un monde parallèle à l’histoire de l’Allemagne, que la France était belle et que je passais mes après-midis au Louvre, il m’était difficile de penser que la RDA ou ex-Allemagne de l’Est pouvait avoir eu des artistes.

Je sais, parfois la réflexion est trompeuse, surtout dans un endroit comme le Louvre, où aucune galerie de peinture n’est orientée vers ce pan de l’histoire socialiste.

Cette idée avait été renforcée par mes cours d’allemand, où nous apprenions gentiment que les Allemands de l’Est avaient dû beaucoup souffrir, et qu’on leur avait lavé le cerveau (ce qui est dans le crâne d’un enfant, une scène de science-fiction, où chaque citoyen est placé sur une chaise, avec un casque en métal sur la tête relié à des fils, qui vont « laver » le cerveau).

Loin de l’image de l’Allemand indépendant de l’Est roulant en BMW, l’Allemand de l’Est vivait dans un décor gris dans lequel l’art n’avait rien à faire- le gris, couleur du socialisme.

Et pourtant, je me trompais.

Leurs sujets sont libres, et peuvent dans un cadre historique particulier, être « une critique du système de la RDA », ce qui est la facon la plus simple et la plus pénible pour exprimer une oeuvre d’art. Parce qu’ils ont vécu dans un régime à un seul parti, cela ne fait pas de l’eux des résistants, mais des esprits libres capables de penser hors du cadre. Et nous devrions en faire autant. Notons cependant que le régime ne leur a jamais interdit de peindre ou d’exposer.

Il faut voir le travail d’un artiste comme une oeuvre délivrée de tout contexte quand on pense qu’une oeuvre d’art doit parler à plusieurs générations pour être admirée et gagner sa part d’éternité. Une peinture doit interpeller le spectateur, quelque soit où il se trouve et quelqu’en soit ses raisons personnelles. Le reste n’est qu’une interprêtation grossière de personnes n’ayant rien à dire et utilisant le contexte historique comme unique explication d’une série de peinture.

L’école de Leipzig

Il y a plusieurs courants en Allemagne, dont l’école de Leipzig, qui s’oppose à l’école de Berlin.

Car si Berlin a un style plus bétonné et une approche plus moderne de la chose « art », Leipzig est dans une veine opposée, celle de la peinture figurative (c’est à dire qu’on reconnait des personnages ou des objets sur la toile… c’est à dire que pour ceux qui connaissent rien à l’art, eh bien ils pourront quand même s’amuser à chercher Charlie sur le dessin ou la poule cachée).

Wolfgang Mattheuer

Comme toute concurrence, Berlin ne considère pas Leipzig comme une école avant-gardiste et donc libre. Et parfois, quelques bagarres entre les deux courants s’affrontent au milieu des salles d’exposition à coups de champagne Moet et Chandon et de rolex en or. Non, je blague, enfin disons que j’exagère.

Alors forcément, les peintres de la RDA issus de l’école de Leipzig, et étant originaires d’un pays « totalitaire », on ne pouvait pas dire qu’ils avaient les meilleurs cartes pour qu’on leur attribu un peu de reconnaissance, cinq centimètres de podium, ou un brin d’éternité…

Et pourtant, loin des structures grises et carrés du régime communiste, les peintres ont apporté de qu’on appelle un style nouveau, non dénué de couleurs et marquant le monde de l’art.

Mais commencons les présentations. J’ai choisi cinq peintres de la RDA, dont les trois grands-pères de l’école de Leipzig.

Wolfang Mattheuer

(7 avril 1927- 7 avril 2004)

Wolfgang Mattheuer est le précurssuer de l’école de Leipzig en 1960 aux côtés de Bernhard Heisig et Werner Tübke, en s’éloigant du style « réalisme socialiste » (Sozialiste Realismus).

Kunsthalle Rostock: Wolfgang Mattheuer Wolfgang Mattheuer – Sisyphos behaut den Stein, 1973

Anecdote sur Wolfgang Mattheuer

En 1944, il doit entrer dans l’armée pour faire son service militaire. Un an plus tard, il s’évade de la captivité soviétique en tant que prisonnier de guerre. En 1946, il fréquente l’école des arts appliqués de Leipzig. En 1971, il commence à travailler la sculpture.  Depuis le milieu des années 70, Mattheuer a eu plusieurs expositions en Allemagne. En 1988, il quitte le SED (parti socialiste) et participe un an plus tard aux manifestations du lundi à Leipzig.

Werner Tübke

(30 juillet 1929 – 27 mai 2004)

Son style se démarque clairement des autres, prenant ses références à la peinture germanique de la Renaissance à la manière d’Albrecht Dürer. Explosant de couleur et de formes, les sujets évoquent religieux et politiques comme les deux peintures ci-dessous l’évoquent.

Werner Tübke, Chilenisches Requiem (1974) Werner Tübke, panorama de la guerre des paysans (1980)

Anecdote sur Werner Tübke

Werner Tübcke, c’est le type qui décida de rouler en Peugeot, parce que les Peugeots étaient plus cool que les Trabis. Il réussit à persuader le gouvernement de lui faire importer la petite francaise.

Bernhard Heisig

(31 mars 1925 – 10 juin 2011)

Bernhard Heisig, au passé clair-obscur entre sa jeunesse hitlérienne et ses années de prisonner en Union Soviétique avant d’entrer dans l’art et de devenir l’un des peintres de la RDA les plus reconnus.

Bernhard Heisig, Ikarus (Icare) 1975

Wili Sitte

(28 février 1921 – 8 juin 2013)

Où sont les femmes ? chantait Patrick Juvet dans les années 80. Et depuis déja quelques décennies, c’est le sujet favori de Willi Sitte. Des corps, de l’érotisme prit à bras le corps, voilà ce qu’on ressent devant ces êtres irréalistes de par la texture de leurs peaux, par les muscles et les formes, autant rondes que carrées. une fascination de la nudité et des couples qui se bécottent.

Willi Sitte, Restitution de la pomme (1992) Willi Sitte, mon Atelier – Dédicace à Courbet (1977)

Arno Rink

(26 septembre 1940 – 5 septembre 2017)

C’est le petit dernier de la bande, le plus jeune, celui qui s’éloignera lentement du réalisme socialiste pour entrer dans l’ère du figuratif de Leipzig et engendré un style nouveau.

Arno Rink, Entwurf für ein Wandbild (1965) Arno Rink „Das Lied vom Oktober II“ (1968) – la chanson d’octobre II

Anecdote sur Arno Rink

en 1961, Arno Rink postule à l’École supérieure des arts visuels de Leipzig. Sa candidature ne fut pas acceptée. Arno Rink alors travaillé à Leipzig Wollkämmerei comme garçon d’ascenseur pendant quelque temps.

S’il fut formé par Bernhard Heisig et Werner Tübke, il eut pour élève l’un des peintres les plus importants d’Allemagne, Neo Rauch.

Les peintres de la RDA

Ils ont tous ou presque étaient membres du parti, ont eu du succès pendant leur temps. Et puis, le mur est tombé et eux avec lui, prétendant qu’ils favorisaient la montée du régime. Pourtant à se pencher sur leurs peintures, on y trouve de tout, faisant foisonner le coeur autant que le cerveau.

On leur doit pourtant Neo Rauch et l’école de Leipzig, faisant de l’ex-Est de l’Allemagne une contrée à part entière avec sa culture embrasée, laissée en ruines.

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