Les Rhéteurs, Tome 2: Grish-Mère d’Isabelle Bauthian

Par Caroline @Lounapil

Les Rhéteurs, Tome 2: Grish-Mère d'Isabelle Bauthian,

Publié aux éditions ActuSF,

C'est à Landor qu'on trouve la plus importante école de serviteurs de Civilisation. Ceux qui en sortent, les factotums, savent repasser le linge de leur maître, réciter sa généalogie et éviscérer ceux qui le regardent de travers. Leur fidélité, garantie par des années de lavage de cerveau à la lessive patriotique, n'est plus à démontrer. C'est pourquoi, lorsque Sylve trahit son seigneur et lui dérobe une précieuse relique, c'est l'incompréhension... puis la chasse à l'homme. Sauf que Sylve n'a jamais rien volé. Et peut-on qualifier de traître celui qui a ajusté ses principes par amour ? Le guerrier naïf qui n'a jamais quitté Landor est en route pour la baronnie de Grish-Mère. Il espère y laver sa réputation, mais il se retrouve à la merci de la puissante Guilde des Épiciers. Son érudition et son excellence au combat ne lui sont alors que d'un faible secours... J'ai rencontré Isabelle Bauthian lors des dernières Imaginales. J'ai assisté à l'une des conférences qu'elle donnait et j'ai pu ensuite lui parler lors des dédicaces. Grish-Mère est son dernier né. Il prend place dans une saga qui comprendra cinq tomes. Chose originale: on peut lire les tomes dans le désordre sans aucun problème. En fait chaque tome est plutôt consacré à l'exploration d'une des contrées imaginées par Isabelle. Grish-Mère est un sacré pavé de fantasy! Il faut bien s'accrocher pour le lire car l'auteur ne se fiche pas de son lecteur. C'est de la fantasy qui fait réfléchir avec des dialogues ciselées alors mieux vaut être bien concentré pour s'y attaquer. L'intrigue générale s'articule autour de deux moments clés de la vie de Sylve. Certains chapitres, sous forme de flash-back, rappellent son enfance et son adolescence. Issu d'une famille pauvre, Sylve a été offert à l'École pour devenir factotum. Un factotum sait tout faire: organiser un dîner, broder, arranger un bouquet, manier l'épée ou la hache pour servir son maître. C'est un expert dans bien des domaines. Les chapitres qui nous montrent le passé de Sylve nous renseignent sur sa formation. Les autres chapitres sont ceux du moment présent. Sylve débarque à Grish-mère pour rapporter une statuette religieuse dérobé à son maître. Mais rien ne se passe comme prévu. Alors qu'il cherche à rejoindre l'île de Grish-mère, Sylve devient plus ou moins le prisonnier d'une guilde d'épicier et garde du corps forcé de leur chef. Comme je le disais plus haut, Grish-mère n'est pas le genre de fantasy facile. Il y a d'abord l'intrigue qui paraît simple en un coup d'œil mais qui est en réalité bien retorse. Il y a ensuite la langue. Isabelle Bauthian cisèle ses dialogues telle une orfèvre. Ce sont de véritables joutes oratoires que mènent les personnages. Elle a aussi pris le parti de nous faire connaître les pensées de Sylve par un système de police en italique ce qui rend les situations souvent bien drôles! C'est profondément intelligent. Elle rend ainsi hommage à la langue, à l'expression orale car Sylve peut se montrer aussi courtois qu'il peut être vulgaire. On n'emploie pas le " Sieur " comme on donne du " Monsieur " et chaque mot prononcé révèle un peu de vous. C'est parfois compliqué à suivre, certes, mais très jubilatoire. Grish-mère c'est aussi le genre de roman fantasy qui donne à réfléchir. Sylve se retrouve donc sur une île au fonctionnement matriarcale. Les hommes y sont tolérés mais doivent s'y faire tout petit. Traités comme des sous-citoyens, ils obéissent aux femmes. J'ai trouvé vraiment très intéressant la situation développée par l'auteur. Sylve se plaint de son statut et trouve les choses injustes mais il ne se rend pas compte de sa position de dominant et d'oppresseur lorsqu'il est en dehors de Grish-mère. Il expérimente ce qu'il fait peser sur les femmes sans en prendre réellement conscience! Il remet en cause cette société matriarcale sans remettre en cause la société patriarcale qui l'a élevé. J'ai trouvé ça fort de la part de l'auteur car elle traite les choses avec finesse sans caricature aucune. L'auteur propose ici une vision originale des choses.

L'intrigue est menée tambour battant et si les choses paraissent un peu floues au départ, elles s'éclaircissent vite pour faire comprendre au lecteur que retrouver cette statuette pour Sylve est une question d'honneur voire de vie et de mort.

Grish-mère est un sans faute pour moi et très un bon roman de fantasy pour celui qui sait à quoi s'attendre. Nul doute que je me pencherai à l'avenir sur la suite des œuvres de l'auteur.