Petite par Sarah Gysler

Par Lebloglitteraire @BlogLitteraire_
Petite par Sarah Gysler, 183p., Éditions des Équateurs, 18,00€

« Je suis née au milieu des années nonante dans une famille décomposée. On était de ces enfants qui grandissent avec une clef autour du cou, connaissent les numéros d’urgence par cœur et savent faire cuire des pâtes avant même d’être en mesure d’atteindre les casseroles. Petite, on a tenté de m’expliquer que j’avais des « origines » par ma mère et un père qui ne peut plus courir parce qu’il a trop travaillé. En classe, j’écoutais des professeurs désabusés me raconter comment réussir ma vie. Plus tard, on m’a dit que je travaillerai dans un bureau parce que c’est ce qu’il y avait de mieux pour moi, qu’assez vite j’aurai un mari, une maison, puis des enfants, qui verront le jour presque par nécessité. À vingt ans, j’ai arrêté d’écouter les gens et je suis partie. Seule, en stop et sans un sou en poche. J’ai traversé l’Europe jusqu’au Cap Nord, sans autre but que de ne pas pourrir chez moi. On peut dire que j’ai fui. C’était mon premier grand voyage. Dans ce livre, j’ai voulu raconter mes errances, mes chutes et comment la route m’a sauvée. »

S. G.

Ce livre est un roman d’apprentissage foudroyant, celui d’une petite fille qui transforme sa colère en odyssée. Avec humour et tendresse, la jeune globe-trotteuse raconte les tourments de l’enfance, son dégoût d’une société uniformisée, mais aussi son irrésistible soif d’être libre qui la pousse à dépasser ses peurs.


Sarah Gysler est née en 1994, elle sillonne les routes et vit un peu partout dans le monde. Petite est son premier livre.


Je n’ai jamais aimé l’école, j’imagine que vous vous en doutiez. Je n’ai jamais aimé l’école, ce grand bâtiment gris semblable à une prison ou un asile, dans lequel on nous enferme à la période la plus cruciale de notre développement. Comment l’État trouve-t-il pertinent de confiner un enfant du matin à la nuit tombée dans une classe surchauffée et bondée? De surcroît avec l’ordre de rester plié sur une chaise en bois. Et en silence! Non mais! Ca, je ne l’ai jamais compris.
Pourtant, il y avait de l’idée au départ. C’est chouette de savoir lire, écrire, compter. Encore aujourd’hui, il m’arrive de le faire. C’est une grande chance que d’être instruit. Je me demande donc où ça a foiré. À quel moment ce lieu, supposé produire de la culture, s’est-il transformé en abattoir de l’âme, en faucheuse de spontanéité? Probablement depuis que l’on voit l’enfant en futur employé, au lieu de le considérer comme un être à guider.

Il y a quelque chose de profondément touchant en Sarah Gysler, son blog et son livre: c’est leur authenticité. Seule prime la liberté, il n’y a donc pas de place pour la tricherie ou les faux semblants. Son histoire, cette aventure humaine et cette façon de vivre, m’a beaucoup marquée. D’abord, touchée. C’est parce que j’ai été touchée par la découverte de son blog laventurierefauchee.com, le résumé de son livre et tout ce que ça a impliqué que j’ai absolument tenu à la lire.

Si jeune, Sarah Gysler a déjà compris tellement de choses, perçu par elle-même toute la bêtise de notre société et le conditionnement qu’elle nous impose derrière les contrats de travail et la consommation. Toute l’hypocrisie, la rivalité, la jalousie et la peur… tous ces parasites auxquels on doit faire face au quotidien.

Alors un jour elle a décidé de partir, de laisser derrière elle une famille recomposée et une enfance riche en rebondissements pour aller à la rencontre du monde, d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres langues. Tout ça toute seule, sans argent, avec son sac à dos.

Être sur la route, faire du stop, au milieu de nulle part, toute seule, cela parait plutôt effrayant et dangereux. L’auteure raconte pourtant à quel point elle aime ça; faire du stop et traverser des villes entières en compagnie d’inconnus qu’elle aura l’occasion de découvrir. Des mentalités différentes, des langues différentes, des paysages variés, et pourtant, partout, hormis quelques minimes exceptions, elle rencontrera la même solidarité, générosité et humanité. Lire son parcours qui relate autant de bonté donne du baume au coeur!

Je me questionne quand j’entends ma mère râler sur son métier depuis plus de vingt ans. Est-ce vraiment ça, la vie, « faire aller »? Comment peut-on supporter ça? Réveil à 6 heures, embouteillages sous la pluie, petit chef véreux, pauses pipi chronométrées, déjeuner sur le pouce, gestes répétitifs, automatiques et abrutissants, la menace du burn-out, la peur du licenciement… Tout ça pour rentrer à la maison épuisé. Produire, toujours plus, toujours plus vite. Être finalement dépossédé de cette production. Et tout ça pour consommer les marchandises faites par d’autres.

Cette jeune fille m’aura particulièrement impressionnée par son audace, son courage et sa force. Une force de caractère et d’esprit à prendre en exemple.

Malgré ses maigres 23 ans, Sarah Gysler nous livre un récit digne des grandes autobiographies, richissime en humour et en d’intéressantes et matures réflexions. J’ai beaucoup aimé sa façon d’utiliser des mots forts et tranchants avec lesquels nous parvient une constatation, de piètre état, de notre société, hypocrite et individualiste. En refermant le livre, j’ai eu l’impression d’avoir voyagé et trouvé des réponses à mes quelques questions que je me posais depuis pas mal de temps sur les gens qui vivent en voyageant. Comment s’y prennent-ils? Que prévoient-ils? Ou ne prévoient-ils rien? Comment est-ce possible? Sarah Gysler a trouvé ces réponses par son expérience, unique et osée.

Un témoignage incontournable.

J’ai grandi, et la télévision aussi. Le divertissement et l’information se sont transformés en propagande. Notre rapport a évolué, passant du plaisir à l’angoisse, quand tous les soirs, à 20 heures pile, mon beau-père ordonnait de zapper le journal télé. Je n’ai jamais compris pourquoi c’était lui, le « maître de la télécommande », ma mère non plus n’aimait pas le JT. Vivement le matriarcat! Le générique de TF1 – images anxiogènes mêlées au remix des Dents de la mer – me mettaient déjà dans un état second. Le repas du soir était le seul où nous étions tous réunis, mais personne ne parlait à table, nous étions trop occupés entre la salade et les petits pois, entre la nouvelle crise financière, l’éternelle misère, les catastrophes et les guerres. Le patenté disait que c’était important de regarder, de s’informer. Moi j’appelais ça masochisme de canapé, se soucier du malheur en se réservant une petite tasse de thé.


Je remercie chaleureusement Sarah Gysler ainsi que les Éditions des Équateurs de m’avoir permis de découvrir ce premier livre très touchant.

Le blog de voyage de Sarah Gysler : laventurierefauchee.com



Je vous remercie d’avoir choisi de lire cette chronique. À bientôt!