L’obsolescence programmée de nos sentiments

Par Un_amour_de_bd @un_mour_de_bd

Chronique « L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DE NOS SENTIMENTS »

Scénario de ZIDROU,
Dessin de AIMÉE DE JONGH

Genre : Tranche de vie

Public : Adultes,
Paru le 1er juin 2018 aux éditions DARGAUD
144 pages couleurs, 19,99 euros

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Ça commence comme ça…

Elle s’appelle “Méditerranée”. Elle a 62 ans et vient de perdre sa mère, après 9 mois de souffrance. Elle la contemple sur son lit de mort. Son frère va “s’occuper du reste”, avertir la famille, organiser les pompes funèbres, l’église. Par un petit mot anodin, Méditerranée réalise qu’elle est la plus vieille femme de la famille maintenant…
Lui s’appelle “Ulysse”. C’est son dernier jour de camionneur. Il dit adieu à son véhicule, son “bateau” comme il l’appelle, et va rendre le clefs au patron. Il vient d’être débarqué, mis à la retraite anticipée pour cause de difficultés financières de l’entreprise. Il va saluer l’équipe, Musta, Le Bert, Philou et part sans se retourner, surtout ne pas se retourner !
Dans le bus, Méditerranée réalise qu’elle est perçue comme une vieille femme à qui les jeunes doivent laisser leur place, c’est comme ça. Ulysse, lui, se demande de comment il va remplir cette retraite. Certainement pas en lisant, il déteste ça la lecture. Pas non plus en rangeant son appart ou en voyageant. Père pour la première fois à 20 ans, veuf à 45 ans et retraité à 59 ans, il a toujours tout fait plus vite que les autres…

Ce que j’en pense

“L’obsolescence programmée de nos sentiments”… Quel drôle de titre ? Zidrou ne fait rien comme tout le monde, mais je trouve celui-ci terriblement mal choisi. Moi, je craignais qu’il nous parle de l’érosion des sentiments entre deux personnes qui s’aiment, et c’est tout le contraire !
D’un côté, nous avons “Méditerranée”, une femme de 62 ans, ex-mannequin nue (dans sa jeunesse, elle a fait la une du magazine “Lui”) qui a repris la fromagerie de son père. Même si elle n’est “pas mal”, les signes de l’âge ne l’ont pas épargné et la mort toute récente de sa mère la ramène inexorablement à la question de l’âge, qu’elle a du mal à assumer…
De l’autre côté, nous avons “Ulysse”. Pas vraiment un grand voyageur, Ulysse a 59 ans. Camionneur pendant toute sa carrière, il se retrouve en retraite anticipé (de force !) et ne sait pas comment remplir cet immense vide… Sa femme est morte depuis longtemps et il a perdu son deuxième enfant…

Ces deux être cabossés vont se trouver, se séduire et vivre une nouvelle passion amoureuse, avec humour et passion !
Décidément, j’adore Zidrou pour ses audaces ! Parler d’amour et de sexe à 60 ans, c’est évidemment un quasi-tabou dans notre société qui ne nous montre en exemple que des beautés plastiques, des corps beaux et jeunes. Lui seul pouvait oser dans le paysage BD. Et il le fait bien l’animal. L’audace est là, mais c’est surtout sa subtilité que j’apprécie. Cette histoire de “vieux Roméo et Juliette” est traitée de façon réaliste. Et puis, il y a l’humour dans ce couple, qui unit et met de l’huile, malgré les différences. Ce n’est jamais vulgaire, ni surfait, juste une forme de poésie du quotidien, qui se substitue à l’isolement et la solitude de la vieillesse…

Mon seul regret vient de la fin… presque “miraculeuse”. Cela m’a semblé vraiment excessif, presque inutile. Je n’ai pas compris ce que Zidrou voulait nous dire…

Au dessin, Aimée de Jongh est la collaboratrice idéale pour un ce projet au long court (144 pages), dont j’avais adoré “Le retour de la Bondrée”, édité chez Dargaud.
Son trait sobre et réaliste ne cache rien, ni les rides, ni les corps, ni les émotions. Cela me fait penser à un croquis pris sur le vif. Chaque mouvement, chaque cadrage est posé avec sobriété et efficacité. Pas d’effet graphique inutile, mais une grande justesse tout en retenue.

Si vous avez envie d’un sujet rare, traité avec une infinie subtilité (l’amour entre sexagénères), jetez vous sur cet ovni, ce roman graphique, beau comme l’amour… à tout âge.