Bois sauvage · Jesmyn Ward

Par Marie-Claude Rioux

Comment ça se fait que je n’ai pas découvert Jesmyn Ward plus tôt? J’ai mis trois semaines à lire Bois sauvage. Le roman ne fait pourtant que 300 pages. Mais la présence de Cendrillon-Electra a mis à mal mes heures de lecture! J’avoue aussi avoir fait longuement durer le plaisir et quitté cette famille avec un gros pincement au coeur.2005. Louragan Katrina va frapper. Ce n’est qu’une question de jours. «Katrina tourne comme une toupie que la Floride vient de lâcher au bout de son grand bras.» La Fosse, dans le bayou du Mississippi. Pendant que le paternel, fort sur la bouteille, barricade la maison avec les bouts de contreplaqué qu’il trouve, Randall, l’aîné, se prépare à disputer le match de basket de sa vie, espérant obtenir une bourse. Skeeter n’a d’yeux que pour China, sa pitbull qui va mettre bas d’une portée qui lui rapportera de beaux sous. La mère, la grande absente du roman, est morte en donnant naissance à Junior, le plus jeune. Junior l’encombrant, le rabroué. Mais l’attendrissant aussi. Esch, la seule fille de la famille… Cette gamine de quatorze ans ouvre les jambes pour trouver un peu d’amour, se retrouve enceinte de Manny et cherche des réponses dans la mythologie grecque. C’est elle qui porte l’histoire à bout de bras, l’histoire de sa famille, l’histoire des jours précédents Katrina et ceux qui suivront l’ouragan.Soudain il y a un grand trou entre avant et maintenant, et je me demande où le monde qui existait ce jour-là est passé, parce qu’on est plus dedans.

En douze chapitres, Eschfait battre le pouls du récit. Elle invite son lecteur à la suivre, elle raconte son histoire avec une telle spontanéité et une telle ouverture qu’elle tient l’atermoiement à distance.

Les personnages de Jesmyn Ward sont forts comme le roc, incarnés au point de prendre vie. Je me suis prise d’affection pour chacun d’entre eux, ayant envie de leur tendre la main, de les protéger.Chaque personnage a sa bouée de sauvetage:pour Esch, c’est Manny (mais elle doit cacher sa grossesse); pour Skeeter, c’est China et ses chiots; pour Randall, c’est son ballon; pour Junior, ce sont les nouilles ramen; pour le paternel, c’est la bouteille. Dans cet univers où la naissance et la mort se voisinent constamment, les liens familiaux se révèlent plus forts que tout.

Katrina devient un personnage à part entière, de ceux qu’on ne veut par rencontrer, mais dont la rencontre est inévitable.La montée de la tension est insoutenable. Louragan s’en vient. Personne n’y échappera. Il faut se préparer: stocker de l’eau, faire des provisions. Mais pas facile quand l’argent fait défaut. Je suis sortie de ce roman à bout de souffle, estomaquée et admirative devant la force d’un tel talent, éblouie devant cette langue crue et sans dérobade. Je n’ai pas attendu la fin de Bois sauvage pour commander Ligne de fracture et Les moissons funèbres. Je suivrai Jesmyn Ward aussi loin qu’elle voudra m’amener. Même si l’année est encore jeune, Bois sauvage fait d’ores et déjà partie de mon top ten 2018. 

Cétait presque un coup de coeur pour ElectraBois sauvage, Jesmyn Ward, trad. Jean-Luc Piningre, 10-18, 307 pages, 2013.

J’ai lu ce roman dans le cadre de mon challenge: 50 États en 50 romans (État du Mississippi).