Têtes blondes à gogo

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Les Danois (Clarke – Editions Le Lombard)

Et si tous les bébés naissaient avec le teint blanc, les cheveux blonds et les yeux bleus, y compris ceux dont les deux parents sont d’origine arabe, asiatique ou africaine? Ce serait plutôt déroutant, non? Lorsqu’il retrouve sa femme dans une maternité de Copenhague, le mari de Sorraya Safieddine tire forcément une drôle de tête. Son épouse est Jordanienne, comme lui, mais elle tient dans ses bras un nouveau-né aux cheveux blonds. Cet enfant, c’est leur fille. Certes, le mari de Sorraya est ouvert d’esprit, et les analyses ADN prouvent que ce bébé est bel et bien le sien, mais malgré tout, il a beaucoup de mal à comprendre pourquoi sa petite Aisha ne ressemble pas à tous les autres membres de sa famille. Se sentant humilié, il n’a d’autre choix que de demander à sa femme d’aller vivre ailleurs. Même incompréhension du côté du mari de Kirsten Erikson. Alors que sa femme, avec qui il ne couche plus depuis des années, lui avait affirmé qu’elle était tombée enceinte d’un homme mauritanien lors d’une soirée un peu trop arrosée, il découvre qu’elle a accouché elle aussi d’un enfant blond. Fou de rage, il décide à son tour de la mettre à la porte. Plus étonnant encore: ce qui arrive à Sorraya et à Kirsten se répète chez de nombreuses autres femmes. Après être apparu pour la première fois à Copenhague, ce phénomène étrange et inexplicable se multiplie bientôt dans l’ensemble du Danemark, ainsi que dans toute l’Europe, déclenchant du même coup des violentes émeutes et des replis identitaires sur tout le Vieux continent. Dans ce contexte de chaos social et politique, plusieurs pays décident de fermer leurs frontières. Tout bénéfice pour la firme pharmaceutique Keoxis, qui affirme qu’elle sera bientôt en mesure de développer un vaccin pour endiguer le virus…

Sur la couverture des « Danois », on voit une femme voilée qui tient dans ses bras un bébé blond. Le visuel est puissant… et surtout, il annonce la couleur! Dans ce récit d’anticipation, le dessinateur liégeois Clarke (qui est ici à des années-lumière de son travail sur la série « Mélusine ») décide de prendre le contre-pied des discours habituels sur l’immigration. Il imagine un monde dans lequel ce ne sont pas seulement les racistes d’extrême-droite qui se plaignent d’être envahis par les immigrés mais également les immigrés eux-mêmes qui se révoltent parce que leurs nouveaux-nés ressemblent à des petits scandinaves. Certains vont même jusqu’à regagner leur pays d’origine, de peur d’être touchés à leur tour par cette épidémie « européenne ». Mélangeant éléments fantastiques, enquête journalistique et thriller politico-économique, « Les Danois » est une fable sociétale surprenante. Un livre dans lequel on suit des personnages à la fois complexes et attachants, qui sont crédibles car ils ne sont ni bons ni méchants. Il faut bien le reconnaître: le scénario est parfois un peu alambiqué. Par moments, il faut même s’accrocher pour suivre l’intrigue. Mais malgré ce petit bémol, cette BD est une vraie réussite. D’une part parce que le dessin de style semi-réaliste adopté par Clarke s’avère très efficace. D’autre part parce qu’il s’agit d’un récit dérangeant dans le bon sens du terme, car il amène le lecteur à s’interroger sur le pourquoi des replis communautaires et sur la fragilité du fameux « vivre ensemble ». Un livre intelligent, qui bouscule les a priori et les idées reçues.