Laurence Biberfeld, dans la neige de Lozère

Par Femmesdelettres

Oui, évidemment, c’est un polar : mafias, drogue, meurtres, trahisons et indiscrétions. Mais si l’on ne s’attachait qu’à l’intrigue, on se comporterait comme le visiteur d’un musée qui ne regarderait que les guillochis sculptés sur les cadres. On manquerait l’essentiel. Ce qui étonne immédiatement, et d’un bout à l’autre, dans l’écriture de Laurence Biberfeld, c’est d’abord la Margeride, cet ensemble montagneux de la Lozère et du Cantal, et ses mots de patois. On est « estaparafés » (p. 9) de lire cette narratrice qui « parle oiseau » (p. 90). Elle accumule, dans les descriptions de jardins, de villages et de crédences rurales des expressions et des proverbes régionaux occitans.

Dans ce cadre bucolique, la came fait désordre. Plusieurs kilos de schnouff dans le trou du cul du Massif Central, on n’a pas vu ça depuis Hérode. Le quotidien se détraque, ce que symbolise malicieusement l’ânesse du premier chapitre qui se blesse à mettre bas : comme un mauvais présage avant l’arrivée d’une parisienne au village. Car c’est elle, l’institutrice-narratrice, qui va sortir le village de ses gonds, arrivant avec ses relations et ses secrets. Depuis qu’elle est installée, les trolles fleurissent trop tôt, les filles grossissent trop jeunes (p. 135). Le brave Julien fait un rêve de bestiaux entassés dans des alvéoles, comme une ruche de vaches (p. 132) : cauchemar prémonitoire.

L’habileté de l’autrice consiste à donner aux personnages de paysans une profondeur et une subtilité que la narratrice parisienne elle-même ignore : pour celle-ci, la Margeride, « c’est le Moyen Âge », et puis c’est tout (p. 153). Le récit, mais surtout la langue vivante et malicieuse de l’écrivaine, prouvent définitivement le contraire. Le roman de Biberfeld est réussi sur le fond et la forme, et fait honneur à la petite édition parisienne de polars qui nous l’a mis en lumière : La Manufacture de Livres, sise rue de Sèvres, à Paris.

D’autres avis unanimes : Nyctalope, Actu du noir, Au pouvoir des mots, Livre d’hiver.

Laurence Biberfeld, Sous la neige, nos pas, coll. « Territori », La Manufacture des Livres, 2017, 169 p., 16,90€.