Paysage perdu · Joyce Carol Oates

Par Marie-Claude Rioux

La première pensée qui me vient à l’esprit lorsque je songe à Joyce Carol Oates, c’est sa productivité démesurée. Près de cent romans, recueils de nouvelles et de poésie, romans jeunesse et essais. Une œuvre vertigineuse. Un cas rare, à part. Une année complète ne me suffirait pas pour lire toute son œuvre, qui compte plusieurs gros pavés. Si je suis passablement familière avec sa fiction, j’ignore à peu près tout de la femme-auteure. La parution de Paysage perdu et d’un cahier de L’Herne vient remédier à cette lacune.
J’ai débuté Paysage perdu avec une grande curiosité. L’ouvrage, composé de vingt-sept textes, est touffu. Certains textes sont originaux, d’autres ont été retravaillés pour l’occasion. De l’enfant à l’adolescente, en passant par la jeune adulte, Joyce Carol Oates revisite les paysages perdus qui l’ont façonnée en tant que femme et auteure.

De ces jeunes années vécues à la ferme entourée de parents aimants, il en ressort une enfance rongée par la timidité et l'angoisse. Aux côtés du manque de confiance en soi, des insomnies à répétition, du suicide d’une amie, du sentiment d’étrangeté à l’université, de la désillusion face à ses enseignants, il y a l’amour infini pour sa grand-mère et la lecture, à neuf ans, d’Alice au pays des merveilles, le désir de réussir et la hantise de l’échec. Le ciment d’une vie sur laquelle la jeune Oates puisera son inspiration pour bâtir son oeuvre.

Certains textes m’ont retenue plus que d’autres, comme «La sœur perdue», dans laquelle Oates évoque cette sœur autiste placée en établissement à quinze ans, trop violente pour vivre avec sa famille. Oates n’a jamais revu sa sœur. D’autres textes m’ont ennuyée, comme le fameux «Heureux le poulet». Des textes trop longs, d’autres trop courts, entre tragique et légèreté.L’effet patchwork créé par ces souvenirs dispersés dans le temps donne un ouvrage trop inégal à mon goût. Le manque de liant m’a dérangée. N'empêche, l’émotion est vibrante, et le style de Oates est toujours aussi vif et ciselé. Les images qu’elle parvient à créer en peu de mots prennent vie.

«Trois choses sont importantes dans la vie humaine. La première est d’avoir de l’empathie; la seconde est d’avoir de l’empathie; et la troisième, d’avoir de l’empathie.»


Fanny, Sonia et Chinouk sont plus emballées que moi...
Paysage perdu, Joyce Carol Oates, trad. Claude Seban, Philippe Rey, 432 pages, 2017.J’en ai profité pour butiner dans le cahier de l’Herne consacré à la grande dame. Cet ouvrage constitue la première étude critique de l’œuvre de Oates. Des nouvelles inédites, des extraits de sa correspondance avec sa grand-mère, des articles d’amis et de collègues (Russell Banks, Nancy Houston, etc.), de son biographe et de traducteurs apportent un autre éclairage sur la vie et l’œuvre de cette auteure unique et singulièreUn ouvrage essentiel pour qui s’intéresse de près à Joyce Carol Oates.
Cahier Joyce Carol Oates,dirigé par Tanya Tromble et Caroline Marquette, Cahier de l’Herne, 328 pages, 2017.