Interview de Maxime Duranté de L'Attelage

Par Khiad

Bonjour.
Merci d'avoir accepté de répondre à mes questions.
^^
Tout d’abord, sans parler de l'Attelage, présente-toi un peu.

C’est un chouïa compliqué de parler de moi sans parler de L'Attelage – ce projet a vraiment pris une place prépondérante dans ma vie – mais, pour résumer, je dirais que je suis un linguiste enthousiaste et un amateur d’Histoire s’ouvrant progressivement à d’autres disciplines. J’aime de plus en plus le travail de recherche, la réflexion théorique confrontée à l’épreuve de la pratique ; mon quotidien s’articule principalement autour des questions sociétales liées, de près ou de loin, à la place de l’auteur dans l’industrie, à l’évolution du français, à son rôle vis-à-vis des autres langues qui lui font concurrence, etc.

Hormis tout ça, je reste cavalier, joueur de jeu vidéo et sportif dans l’âme, bien que je n’aie plus autant l’occasion de me consacrer à ces passions qu’autrefois : je pense être à un instant de ma vie où il est primordial de bosser sans économiser ses efforts. C’est peut-être triste, présenté ainsi, mais je préfère passer deux heures à lire Le Capital de Marx, pour me confronter à un nouveau paradigme économique, que deux heures sur un jeu en ligne. J’ai l’impression de me trouver à un véritable tournant dont l’issue décidera de ma vie future, et je ne le raterai pour rien au monde. Alors, je taffe, je cogite, je rumine !

Y a-t-il des auteurs qui ont bercé ton enfance/adolescence ?

Oui, mais ils ont tous disparu de ma bibliothèque au profit d’auteurs moins accessibles ! J’ai petit à petit délaissé un certain nombre de plumes « faciles », comme Rowling, Paolini ou Werber, qui m’avaient énormément plu quand j’étais adolescent – je ne juge pas les personnes à qui ces auteurs plaisent toujours, d’ailleurs, mais mes goûts ont évolué. Je ne me satisfais plus d’une compréhension immédiate, sans doute parce que ce qui est compréhensible immédiatement ne sollicite pas les méninges… et que j’aime me prendre la tête !

Dans un autre registre, j’ai bien quelques mangas/animes marquants, notamment Les Chroniques de la Guerre de Lodoss et Berserk, qui font non seulement partie de mes influences mais aussi de celles d’œuvres que j’adore, la saga Dark Souls étant pour moi une des plus belles réussites de l’esthétique gothique.

Ah, et je me souviens avoir été impressionné par la puissance de certains styles classiques – ceux de Balzac, de Zola, de Maupassant –, mais profondément ennuyé par les thématiques qui étaient abordées dans leurs romans. Ce n’est pas que j’ai été bercé ; c’est que j’ai été chahuté par cette découverte d’une langue presque étrangère au parler commun. J’imagine que cette rencontre se ressent dans ma manière d’écrire !

Qu'est-ce qui t'a poussé à créer l'Attelage ?

Une volonté de « dégraisser la chaîne du livre », sûrement : quand on examine le schéma de production d’un livre papier, on s’aperçoit qu’un nombre très élevé d’intermédiaires s’interpose entre l’auteur et le lecteur. Autant ces intermédiaires sont justifiés dans une logistique commerciale « concrète » – il faut imprimer les livres, les diffuser, les distribuer, etc. –, autant je ne vois pas bien pourquoi on s’encombrerait de maillons surnuméraires à l’ère de la publication numérique. Quand on sait que 90 % des revenus engendrés par la vente de livres ne va pas dans la poche de ceux qui les écrivent, mais dans celle de ceux qui… je ne sais pas trop quel terme employer – bidouillent ? tripotent ? broient ? –, on est en droit de s’interroger, d’explorer d’autres pistes.

Notre première étape a été de remettre en question l’absolue nécessité d’être subordonné à un éditeur. Je traiterai le sujet avec force détails dans un essai dédié, mais la relation d’auteur à éditeur s’est toujours résumée à un rapport de domination… dont nous sommes les éternels dominés. Or, le rôle de l’éditeur s’inscrit traditionnellement dans une logique de « filtre », de « tamis » entre les manuscrits bruts et le lectorat ; c’est comme s’il se dressait, entre vous et moi, une sorte de « super lecteur » qui validerait ou invaliderait mes écrits. Nous avons ainsi pris le pari de nous en passer, et de soumettre nos textes à l’avis des autres Attelés, puis du vôtre. Cette « libération » que nous essayons de promouvoir s’accompagne d’une rigueur renforcée de notre côté ; c’est indéniable. Nous devons développer un savoir-faire analogue – pas identique, j’insiste – à celui des éditeurs, si nous souhaitons amener nos textes au niveau de qualité attendu par le public. C’est aussi pour cette raison que l’échange direct avec ce dernier nous est si précieux.

Le coût de publication nul, ou quasi-nul, sur le site de L'Attelage, nous permet en outre de donner beaucoup aux lecteurs gratuitement, de sorte qu’ils puissent choisir de s’abonner ou non. L'Attelage, c’est une démarche que nous essayons d’ouvrir aux budgets les plus modestes : pour le prix d’une sortie grand format d’un éditeur, vous pouvez avoir un accès illimité à toutes les publications de cinq auteurs pendant une année complète, soit, au minimum, l’équivalent de cinq romans… et beaucoup d’autres bonus !

Qu'est-ce que l'Attelage, d'ailleurs ?

On a un speech bien huilé pour le présenter – on l’a d’ailleurs sauvegardé dans un robot du serveur Discord pour y faire appel quand on a la flemme ! Très succinctement, L'Attelage est un regroupement d’auteurs publiant leurs écrits à un rythme mensuel, sur une plateforme où est encouragé l’échange avec les lecteurs. L’idée est de créer, à long terme, une relation symbiotique entre auteurs et lecteurs : comme nous serons rémunérés au fur et à mesure de nos publications, les histoires pourront avancer plus vite que si nous étions resté dans un système traditionnel, où l’auteur doit « ronger son frein » en attendant d’avoir terminé son manuscrit, croiser les doigts pour ferrer un éditeur, et les croiser encore plus forts pour que les ventes suivent ! Nous aimerions casser cette dynamique en faveur d’une nouvelle, plus directe et plus respectueuse pour les écrivains comme pour les lecteurs.


J'imagine que le nom, le logo et les mascottes n'ont pas été choisis au hasard, n'est-ce pas ?

Il y a bien quelques anecdotes à ce sujet, oui ! Avant même de commencer à concevoir la première mouture du site, les Attelés s’étaient mis d’accord pour éviter une énième resucée des métaphores associées à l’écriture : des plumes, des livres, des machines à écrire, l’imaginaire, la création, etc. Je ne veux pas paraître désobligeant, mais l’onomastique des groupuscules littéraires ne dépareillerait pas au congrès des coiffeurs. Mesquinerie à part, nous voulions un nom qui pût se décliner en adjectif autant qu’en substantif pour désigner les membres individuellement, dans l’optique de créer un sentiment de cohésion – une identité unique, en dehors de la nomenclature classique.

Le concept d’Attelage s’est rapidement imposé parce qu’il représente notre volonté commune de participer à un projet allant dans la même direction ; c’est l’intérêt du groupe qu’on a voulu symboliser, ainsi que cette charge que nous devons tirer. Pour la première itération du logo – qui va changer –, c’était la même idée : le chien sautant au-dessus d’un obstacle montrait que nous avions l’impulsion nécessaire pour dépasser les difficultés. Enfin, ça c’était l’idée initiale ; beaucoup de gens nous ont dit qu’ils le trouvaient « agressif » et nous allons nous diriger vers quelque chose de plus conceptuel pour la V2 de la plateforme ! Quant à la couleur bleue, elle est traditionnellement associée aux réseaux sociaux et rappelle le froid, l’arctique… l’univers des chiens de traîneau, en somme !

Concernant Boréale maintenant, le husky est le plus emblématique de tous ; ça tombait sous le sens de choisir cette race pour notre mascotte. Je ne me souviens pas si nous avons vraiment discuté son sexe, en revanche ; j’ai même l’impression que tout le monde s’est accordé sur le choix d’une femelle sans que la question ne soit soulevée ! Son nom a été soumis au vote populaire, et c’est Boréale qui l’a remporté alors que c’était une proposition que j’avais faite pour déconner – en hommage à un personnage de Dawn Of War, Indrick Boreale, et à l’aurore boréale qui a… effectivement lieu dans le cercle arctique. Boréale a complètement éclipsé Cyann, ma proposition « sérieuse » !

Quels sont les membres qui composent l'Attelage ?

Fiouf ! Avec les chiots qui intègreront définitivement nos rangs pour la sortie de la V2, ce serait vraiment interminable de vouloir présenter tout le monde. En moyenne, les personnes qui participent à L'Attelage de façon vraiment directe – Attelés et contributeurs – sont des jeunes femmes, aussi devrais-je peut-être plutôt parler d’Attelées et de contributrices ! Nous n’avons jamais cherché une démographie particulière ; ça s’est fait naturellement.

Comment sont-ils entrés dans la meute ?

Nous avons notre propre méthode de sélection, qui s’apparente davantage à un recrutement d’entreprise qu’à un tri de manuscrit tel qu’on le pratique dans l’édition. Nous recherchons des personnes porteuses d’un désir fort : celui de faire carrière dans l’écriture et d’entrer dans une communauté luttant activement pour les droits des auteurs.

Sans trop en dévoiler, disons qu’il s’agit prioritairement de vérifier si les candidats s’intègreront bien dans leur groupe de travail, la meute, et de les amener à avoir une réflexion critique sur les écrits de celle-ci – ceux de leurs compatriotes, mais aussi les leurs ! Quant à la toute première meute, la bien nommée Alpha, je l’ai rassemblée au cours de mes pérégrinations sur Wattpad, d’où tout est parti.

                                             

Mais les auteurs ne font pas l'Attelage à eux seuls, n'est-ce pas ? Il y a aussi les Contributeurs et les Mushers. Peux-tu nous en dire plus à leur sujet ?

Les contributrices sont des artistes de divers médias (principalement de l’illustration, mais on a également un compositeur !) qui voient dans L'Attelage des valeurs communes visant à défendre et promouvoir l’indépendance créatrice. Nous sommes très heureux de pouvoir compter autant de talents, et de les voir enrichir nos propres productions des leurs ! C’est quelque chose d’unique que nous avons la ferme intention de renforcer en proposant une rémunération plus régulière et plus compétitive aux contributrices, parce que nous sommes engagés dans le même combat pour la reconnaissance de nos métiers.

Les Mushers, c’est le petit nom que nous avons donné aux lecteurs qui ont décidé de nous soutenir et de nous motiver – par analogie à la personne dirigeant le traîneau ! Pour nous, un Musher est une personne qui a l’envie de participer à ces grands chantiers sur lesquels nous travaillons depuis déjà plus de deux ans ; c’est quelqu’un qui, en passant devant un bâtiment en construction, s’intéresse, demande s’il ne peut pas filer un coup de main, et se lie d’amitié avec l’équipe déjà sur place. Ce bâtiment, cette entreprise qu’on échafaude au fur et à mesure, on la voit comme un lieu commun, à partager, presque public. Les Mushers forment vraiment la communauté, oui ; je trouve qu’on revient à l’essence même du mot.

En fait, l'Attelage, c'est une grande famille. ^^

Peut-être pas quelque chose d’aussi immuable – on ne renie qu’assez difficilement les liens du sang –, mais j’aime bien comparer notre projet avec Guédelon, le château médiéval qui s’érige peu à peu grâce à la bonne volonté et aux dons du public. Ce n’est sûrement pas le chemin le plus facile que nous avons choisi, et nos méthodes ne sont pas les plus efficaces qui soient, mais nous avons cette satisfaction de faire « ce qui est juste » et de demeurer en cohérence avec nos idéaux. Cette vision nous unit et nous permet, par exemple, de rester jusqu’à minuit pour préparer la prochaine page du Post Héros, alors que personne n’est payé ! On fait contre fortune inexistante bonne humeur, quelque part.

Peux-tu nous présenter quelques titres de l'Attelage ?

Nous avons publié une série de posts pour présenter nos titres sur Facebook, l’originalité étant que chacun a été rédigé de manière à expliciter l’intention d’écriture par l’auteur, ou l’autrice en personne. Pour faire simple : au lieu de survendre l’histoire, comme c’est toujours le cas quand on essaie de les mettre en avant – allez, on va pas se mentir –, nous avons cherché à expliquer aux lecteurs ce que nous avons voulu y faire, pourquoi nous l’avons écrite, et d’où elle vient.

Voici le premier post, qui me permettra en outre de parler rapidement des Serres du Griffon.
Il suffit de naviguer un peu sur la gauche pour trouver les autres !

           

Encore une fois, merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions.^^
Un dernier mot pour la fin ?

Barbapapa.

Je remercie une fois encore Maxime de L'Attelage d'avoir eu la gentillesse, la patience et la rapidité de répondre à mes questions.
Une communauté d'auto-édition à découvrir de toute urgence ! ! !

Si vous en avez, n'hésitez pas à (lui) poser des questions dans les commentaires. ;-)


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