Facteur pour femmes. Didier QUELLA-GUYOT et Sébastien MORICE – 2015 (BD)

Par Vivrelivre @blandinelanza

Facteur pour femmes

Scénario de Didier QUELLA-GUYOT

Dessins et couleurs de Sébastien MORICE

Editions Bamboo, collection " Grand-Angle ", septembre 2015

112 pages

Thèmes : Première Guerre mondiale, Bretagne, courrier, amour, amitié, famille, transmission

C'est par un heureux hasard que j'ai découvert ce superbe album !

Lors d'un RDV BD de la semaine, Noukette a présenté sur son blog L'Île aux remords (CLIC) et a évoqué dans son article un précédent album du duo d'auteurs, Facteur pour femmes donc !

Ce qui m'a fait cliquer ? Hormis le (beau) dessin, je ne sais pas mais j'ai été inspirée ! Dès les premières lignes de sa présentation, j'étais conquise et l'album, commandé !

Il faut dire que je ne suis pas très difficile dès lors que les mots " Première Guerre mondiale " sont évoqués ;-)

Nous voici donc en août 1914 et les rumeurs de guerre ont rattrapé cette petite île bretonne qui voit tous ses hommes valides partir, mais aussi son bétail et ses ressources.

Seuls restent les trop vieux, et Maël Gréhat.

Jeune homme de 17 ans, casse-cou à vélo, depuis toujours écarté et moqué, désigné demeuré d'office en raison de son pied-bot, comme si c'était lié.

Il va pourtant bien être utile à cette " nouvelle " communauté.

On dit que la guerre sera courte, tant mieux ! Mais il faut tout de même s'organiser, surtout sur une île. Pour les moissons, pour l'école, pour l'église, mais aussi pour le courrier. Et qui d'autre que Maël pourrait s'acquitter de cette tâche, d'autant qu'il sait lire ?!

Trop heureux d'échapper à l'oppression exercée par son père, Maël prend son rôle très au sérieux.

Il gagne en confiance, découvre son île avec un regard neuf et libre, apprend à connaître chacune de ces femmes esseulées, en leur parlant, mais surtout en lisant leur courrier, ces lettres intimes qu'elles envoient à leur mari, si loin...

Celles-là même qui le croyaient un peu idiot du village découvrent un jeune homme timide, intelligent et sensible. Et comme leurs vieux parents aimaient bien le bossu - on le savait sérieux, travailleur, infatigable... et nigaud-, alors, les longues conversations sur le pas de la porte n'inquiètent personne, surtout pas ces pères, trop contents de ne plus supporter les pleurs de leurs filles esseulées. Le Maël tombe bien pour tout le monde !
Alors on lui sourit, on l'encourage, on l'invite, on le chicane, on le retient...

Elles le retiennent toutes et s'imaginent être la seule - c'est plus commode.

Il lit les lettres à celles qui ne peuvent le faire, il découvre chacune d'elles sous le regard de leur mari, il écarte les missives trop tristes ou douloureuses, ménage les cœurs pour mieux savoir s'en approcher...

Il vole, il ment, il trompe, il usurpe.

Il se fait écrivain, poète, et charmeur.

Il profite, calcule, minimise et se venge.

Il panse les cœurs et réchauffe les corps.

Et arrive ainsi à se rendre (de plus en plus) indispensable.

Tout en se croyant unique et l'unique !

Tout m'a plu dans cet album !

Le dessin d'abord. La couverture est très douce. L'intérieur est très coloré, rond et nous imprègne de ses atmosphères.

Et bien sûr, le propos.

Nombreux sont les récits sur la Première Guerre mondiale qui nous racontent les tranchées, la boue, les rats, les bombardements, les ordres absurdes, les terres rougies par le sang, la nostalgie et le découragement ; et pour l'Arrière, les femmes aux champs, les lettres dans les mains du maire et la robe noire. Et c'est très bien car c'est nécessaire.

Mais les auteurs nous livrent là un aspect écarté de la guerre : la teneur intime des correspondances et les besoins affectifs, et sexuels, des femmes. Ceux des hommes étant satisfaits par les " bordels militaires de campagne " - ce que n'oublie pas de rappeler Maël à l'une d'entre elles ! ( CLIC)

Et pourtant, derrière cette impression triviale, c'est bien la guerre et ses conséquences qui sont traitées.

D'abord absent de la narration, le conflit et sa cohorte d'horreurs apparaissent peu à peu, à mesure que le temps passe et que l'absence se fait sentir (car si Maël comble, il ne remplace pas) dans les lettres lues par Maël en cachette (et auxquelles ils n'accordent aucun crédit) dans les cartouches, puis dans les vignettes, de plus en plus nombreuses, jusqu'à la pleine page.

Les couleurs caractéristiques du Front y sont associées, et la souffrance des hommes y transparaît.

L'aspect provincial y est peu retranscrit, sauf à un moment, tout à fait descriptif de ce qu'ont pu ressentir tous les soldats parlant leur dialecte régional (de Bretagne et d'ailleurs - mais encore plus vrai pour un ilien) et ne comprenant donc pas le français, cette langue administrative et militaire, enseignée depuis peu à l'école pour l'unification du pays.

Ordres aboyés et non suivis, et sanctions abusives.

-Tout le monde n'y est pour rien, mais on y est tous !
Alors encore un mot et tu viens avec lui !
Moi, les déserteurs, les tire-au-flanc ou les intellectuels avec leurs beaux discours pacifistes, je leur fais pas de cadeau !
-Mais ?!
Puisque je vous dis que c'est un pêcheur analphabète. Il ne comprend pas le français !
-ET TOI, CONSEIL DE GUERRE, TU COMPRENDS ?!