Lilyane Beauquel, L’Apaisement (2016)

Par Femmesdelettres

Un jour, invité par notre grande école, Xavier de La Porte avait murmuré (comme un secret inavouable) cette anecdote. L’un de ses amis avait fait paraître un polar qui se passait à Chicago, où les lieux avaient une grande importance et où mille détails de Chicago pouvaient être reconnus ; mais il n’avait jamais mis les pieds à Chicago. Il avait seulement utilisé Google Maps et Wikipédia. C’était de la triche, une honte ; sur le visage de mes professeurs éclatait la réprobation.

Lilyane Beauquel, quant à elle, assume. Elle n’a jamais mis les pieds à Fukushima, où a lieu son dernier roman, L’Apaisement. Pourtant tout fait illusion : débris, deuil, désespoir. Le tsunami de 2011 vient d’engloutir des vies en chantier, des centrales nucléaires, des projets et surtout des ratés, ce qu’il reste de nos vies. Jim, par exemple, a perdu son épouse Itoé, la mère de son garçon Kyō. Une épouse qu’il n’a jamais vraiment pris le temps d’écouter ou de considérer. Ses remords sont immenses, insondables, et il n’est pas le seul : tout se passe comme si la Vague était venue punir une société pour ses ratés, ses incompréhensions. La Vague venge « tout ce que nous avons laissé se détraquer » (p. 31). Les enfants le croient dur comme fer : « tout serait arrivé parce qu’ils ne travaillaient pas bien à l’école » (p. 41).

Ainsi il est temps de tout reconstruire. Or, voilà que des journaux intimes d’Itoé, véritables recueils de poésie en prose, « traités du paysage » et « hallucinations » mêlées, réapparaissent de nulle part. La lecture de ces journaux mène le héros vers une initiation shintoïste, au-delà de toute rationalité. C’est la langue qui guide le héros, la langue japonaise dont le roman égrène des expressions et des images. « L’idiot est celui qui cherche des poissons dans les arbres » (p. 38) : après la Vague, les proverbes deviennent réalités.

Comme Virginia Woolf dans Les Vagues, Lilyane Beauquel noie peu à peu ses personnages dans l’immense mouvement du monde et de la nature. Tel est le sens de la « robinsonnade » (p. 183) que vivra Jim, dialoguant avec les morts pour retrouver le goût et la sensibilité. Cette quête japonaise d’un homme égoïste mais bien intentionné m’a rappelé l’épopée australienne d’Emmelene Landon. Mais je suis un cœur simple : le deuil familial du héros de Landon ne me touche pas autant qu’un tsunami immense et meurtrier.

« Je suis où je voulais arriver. Je me tourne vers le bon côté du soleil et remercie le paysage pour les grandes profondeurs et les justes hauteurs. J’ai disparu sans perdre ma chance » (p. 92).

Hauteur de la vague du tsunami de 2011, selon la National Oceanic and Atmospheric Administration

D’autres avis ailleurs : la critique de La Vie ; Le Tour du nombril qui parle de « fable écolo » ; Elodie Potente qui a un joli blog ; Theo Ananissoh pour La Cause littéraire.

Lilyane Beauquel, L’Apaisement, Gallimard, 2016, 224 p., 17€.


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