Johnny · Catherine Eve Groleau

Par Marie-Claude Rioux

Johnny naît un vingt-cinq décembre. Il grandit à Odanak, un petit village près de Trois-Rivières. L'envie de partir le prend assez vite. À vingt-deux ans, il laisse derrière lui sa mère, sa soeur et son frère sourd-muet. Il prend un aller simple pour Montréal. Cet Abénakis au teint mat et aux cheveux noir corbeau, voit grand. Il se fera prendre pour un Italien et ça fera ben son affaire. Un petit boulot par-ci par-là, et une rencontre déterminante qui scellera son destin: Jimmy et sa petite pègre.

Valentine naît un quatorze février sur un plancher de cuisine, en 1953. Elle se sent à l'étroit dans son petit quartier de Ville-Émard, au sud-ouest de Montréal. D’aller traîner au centre-ville, de s’assoir sur un banc en face de chez Morgan’s et de regarder passer les femmes, ça lui donne des envies de grandeur.

Un concours de Miss Hot Pants réunit Johnny et Valentine. S'ensuit un mariage rapido-presto et un emménagement à Laval. Le gros train de vie commence. Très vite, une trôlée d’enfant se pointe. Le couple commence à avoir du plomb dans l’aile. «Valentine acceptait les mensonges lousses que Johnny lui servait quand il ne rentrait pas, elle voulait empêcher la maison de craquer.» Mais la maison craque. Johnny et Valentine prennent des chemins différents, refont leur vie comme on change de paire de bottes. Les enfants grandissent et, à leur tour, prennent des chemins de travers. Ainsi va la vie.


Me v'la bien embêtée. Je suis tombée sous le charme de Johnny, mais je n’arrive pas à bien m’expliquer pourquoi. L’intrigue ne déborde pas d’originalité. N’empêche… La voix de Catherine Eve Groleau, forte, vibrante et imagée, m'a conquise. Elle excelle à dépeindre ces p'tits gens ordinaires et leur existence grise.Elle apporte un éclairage unique sur l’éclatement du couple, les enfants qui se font trimballer à gauche et à droite, les difficultés pour une femme seule (et belle) de se faire accepter du voisinage, l'Indien coupé de ses racines qui veut faire sa place, l'adolescence brinquebalante. 

Catherine Eve Groleau livre la radiographie d’une époque: le Québec des années 1960-1990 est bien cadré (Expo 67, crise d’Oka) autour des désarrois du couple et de la famille. Il reste que les décennies passent trop vite et que les personnages évoluent à pas d'escargot. Ce qui cloche un peu. N’empêche…

La construction du roman écrit à la troisième personne peut dérouter par moment. L'alternance entre les récits de Valentine et de Johnny est irrégulière. La dernière partie présente les récits des enfants devenus grands. Ce choix est étonnant, pour ne pas dire détonnant. N'empêche... Les personnages secondaires brillent d'un éclat particulier: des parents de Valentine à ses enfants, en passant par Joe, la soupirante effacée de Johnny, et Jimmy, le mafioso. Chacun est solide sur ses pattes. En tentant de composer avec ce qu'ils ont, ils s'accrochent pour ne pas perdre pied.


Je n’arrive pas à cerner ce qui m’a tant plu. C’est par moment un peu décousu. Il n'y a pas de grands coups de vent ni de mystérieux secrets dépoussiérés. N’empêche… La magie a opéré, et beaucoup à part de ça. Je me suis laissée porter par le rythme et me suis attachée aux personnages, curieuse de les accompagner sur leur chemin parsemé de nids-de-poule. Quelques semaines après avoir lu le roman, des bribes et des images me reviennent, me hantent encore. Un coup de coeur spontané qui ne s'explique pas. Et une auteure qu’il me tarde de retrouver.

Pour le titre du roman, on repassera! Valentine et Johnny aurait été plus juste, quoique moins accrocheur. C'est que Valentine occupe autant de place que Johnny dans le roman, sinon plus. De mettre l'emphase sur le personnage masculin est à mon humble avis bien réducteur.

Johnny, Catherine Eve Groleau, Du Boréal, 208 pages, 2017.