Borealium tremens · Mathieu Villeneuve

Par Marie-Claude Rioux

Pendant mon voyage de cinq ans – qui devait en durer un seul au départ , j’avais réussi à éviter les autoroutes. J’étais passé uniquement par les trous noirs de la cartographie nord-américaine, par ces endroits oubliés où la végétation redevenue sauvage dévore les villas aux vitres cassées, les chemins de fer abandonnés et les cours à scrap. Je dormais dans ma voiture, sur des terrains abandonnés voilà parfois plus de cent ans par leurs propriétaires partis travailler dans les shops, en ville, fuyant un rêve américain pour un autre. C’était ce mélange de rouille, de blé jamais coupé et de bois pourri qui m’avait motivé à revenir dans le Nord pour devenir le colon démodé d’une terre laissée en friche depuis trois générations. Ça et la lettre du notaire.

«La lettre du notaire», c'est «ça» qui marque le retour de David Gagnon au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il a quitté le Yukon et roulé jusque dans le Nord du Québec pour hériter de son grand-oncle. Un héritage empoisonné: une maison décrépite à rénover, une terre à cultiver et un roman à terminer.David se cramponne, résolu. Son frère Alexis, sa copine Lianah – de qui David était amoureux –, comptent lui donner un coup de main. Mais dans cet univers de bout de rang, les menaces fusent. Un voisin arriviste et un maire malveillant feront savoir au nouveau venu qu’il n’est pas le bienvenu. Le retour aux sources de cet exilé bouscule et dérange les habitants. Méfiance. Incompréhension. La malédiction qui plane sur les ancêtres de David le rattrape. Il entend des voix, hallucine. Se saoule à la vodka. La nature se fait de plus en plus hostile: l’hiver rigoureux, les pluies torrentielles, les orignaux, épuisés par les tiques qui les dévorent, attaquent les habitants. David est pris dans le cercle infernal du passé qui se répète. Ça ne peut que mal finir...



Maud* continue à courir....                           

Il faut le dire: c’est un roman ambitieux. Même s’il s’agit d’un premier roman, on sent l’héritage littéraire de Mathieu Villeneuve. De cet hommage au roman de la terre (et à Maria Chapdelaine au passage) se dessine pour sûr la voix et le style de l’auteur. En passant des envolées descriptives sur la nature à des dialogues bien vivants, aux pensées alambiquées du narrateur, et tout ça dans la cohésion, Mathieu Villeneuve sait capter notre attention. C’est ce qui a ponctué ma lecture de moments de contemplations, ou d’envies d’aller aussi vite que le narrateur avec ses grandes ambitions.

Pour l’histoire? Je n’ai pas été convaincue jusqu’au bout, bien que je ne boude pas ma lecture. C’est qu’autour de la trame principale, celle du retour aux sources, de la maison à retaper et des gens qui gravitent autour de David, il y a une foule d’anecdotes, de saouleries, d’hallucinations, de souvenirs, qui des fois ont de la difficulté à s’arrimer à nous. Une architecture parfois un peu complexe qui m’a laissée en attente d’être de nouveau happée. Si c’est un roman à lire? Certainement. Au moins pour les images parfois réelles, parfois loufoques de la campagne et de ses habitants colorés, ou bien l’ironie ambiante et l’aspect mystérieux que prend l’entreprise de David Gagnon. Et sûrement plus encore.

et Marie-Claude s'essouffle                         

Mathieu Villeneuve revisite avec inventivité le roman du terroir. La voix est forte, le style vibrant. Dommage que le récit se perde à certains moments dans de longues descriptions trop informatives à mon goût (j'avais l'impression de marcher sur une carte routière).Il ne fait vraiment pas bon de vivre dans ces contrées:l’hostilité de la nature, les menaces d’expropriation, les méchantes industries, la xénophobie ambiante. Les habitants du patelin sont affublés de toutes les tares du redneck. Les rapports qu’ils entretiennent sont empreints de méfiance, de hargne, de violence. Une grande noirceur désenchantée se dégage de l’ensemble. Pas bien sympathique, tout ça.

Si la lecture intrigue, elle s’imprègne aussi d’un étrange malaise que la fin ne dissipe qu’à moitié. L’ambiance inquiétante, peuplée de fureur et de folie, m’a étourdie. Une histoire trouble et troublante. Trop d’ombre et pas assez de lumière. Comment dire? J’ai été happé dès le prologue, j’ai piétiné entre la première et la deuxième partie, je me suis égarée dans la dernière: une lecture en montagnes russes. Il me reste des images fortes, indélébiles: un orignal troué de balles, une maison en flammes, une Cadillac noire. Une réflexion: ceux qui ont un jour quitté le village ne devraient jamais y revenir. C’est ce que je retiendrai de ceBorealium Tremens.Borealium Tremens, Mathieu Villeneuve, La Peuplade, 366 pages, 2017.

* Vous vous souvenez de Maud? MA libraire Maud? Ça fera bientôt un an que je la connais. Depuis, Maud est devenue une amie. Comme elle s'y connaît très bien en littérature québécoise et que ses choix sont toujours d'un goût assuré, je lui ai proposé de collaborer avec moi. Il y aura donc, une fois par mois, un double avis sur un roman québécois que nous aurons toutes les deux lus. En plus d'être une excellente libraire et une amie inspirante, Maud prépare le meilleur tartare en ville!