Écrire, c’est éprouver l’étreinte… Jean-Pierre-Vidal

Par Chatquilouche @chatquilouche

Rodin

291. — Si être toi-même n’est pour toi qu’une évidence et une facilité, c’est que tu es n’importe

qui.

292. — Écrire, c’est éprouver l’étreinte (et l’empreinte) de l’Autre. Commercer, c’est ne sentir que sa mauvaise haleine.

293. — L’affabilité, indéniable, des Américains, vient de leur conviction profonde que tout le monde peut devenir riche. S’ils savaient que celui à qui ils parlent ne le deviendra jamais ou, pire encore, n’a pas l’intention de tenter d’y parvenir, ils lui voueraient le même mépris de fer que celui dont ils poursuivent les intellectuels, les artistes et tous ceux qui sont revenus du rêve américain.

294. — Nous sommes tous plus ou moins des Shéhérazade au petit pied, qui payons notre traversée avec des histoires toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Nous appelons ça la vie. Et les histoires les plus folles, celles que nous n’osons raconter qu’à nous-mêmes, nous avons la faiblesse de croire qu’elles disent notre vie.

295. — Les vrais photographes sont ceux qui savent mettre un regard à un visage. Parfois, il est vrai, l’entreprise est désespérée.

296. — Le cerveau, c’est comme les muscles, ça s’entretient. À condition d’en avoir.

297. — L’évidence est la science des faibles et la religion des pressés.

298. — C’est le destin des fils de toujours rater leur père. Et quand il est trop tard, ils retrouvent un beau matin, en se rasant, ses traits étonnés dans leur visage vieilli.

299. — La médiocrité n’est presque jamais une faiblesse ou une démission individuelles, c’est le plus souvent une complaisance collective. Mais pour nous désormais, c’est devenu une exigence. La seule qui nous reste. Parce que c’est, au fond, une exigence commerciale.

300. — De nos jours, l’âme est un tic nerveux. Chez certains, ce n’est même qu’une démangeaison.

301. — L’idéal de la Renaissance était l’homme universel, ouvert sur le monde et attentif aux autres, toujours soucieux d’ajouter à ses connaissances et visant, même s’il savait ne pas pouvoir l’atteindre, la totalité du savoir humain. Le projet avéré de notre société du néant humain dans la pléthore quasi infinie des choses, c’est l’homme particule, poussière de masse qui n’est même plus ce qu’on appelait autrefois un « particulier » et qui de l’universel, comme d’ailleurs de l’univers, ne veut strictement plus rien savoir.

302. — Quand on a réussi à surmonter un dégoût, il risque fort de devenir une manie. C’est peut-être le secret de l’érotisme. Et c’est aussi, à l’inverse, ce qui nous dit que toute profanation est un acte d’amour.

303. — Comment diable éviter le « meuh » des « je t’aime » chantés ? En ne les plaçant jamais en fin de vers, bien sûr. Toute relation amoureuse devrait se souvenir de cette leçon phonétique qui fait des paroles qui traînent un soupir de bovin. Il faut dire « je t’aime » en ouverture et broder une variation ou passer à autre chose. Sous peine de traite et d’abattoir à plus ou moins long terme.

304. — Le peuple autrefois était un peu plus qu’une classe sociale, l’idée de sa puissance. Ce n’est désormais qu’une cote d’écoute ou une mesure de masse. Avec une panoplie maniaque de droits, pour faire bonne mesure et forcer l’écoute des réticents attardés.

305. — Le pire dans l’enfer ou le paradis, ce n’est pas la souffrance ou la béatitude, c’est l’éternité. La brièveté de la vie est, somme toute, un bienfait, car tout ce qui dure vraiment finit par indisposer.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le laJbyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette ChroJnique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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