Le souffle des mots, un texte de Jean-Marc Ouellet

Par Chatquilouche @chatquilouche

Une chaise. Lui, il est assis. Ou elle. L’inspiration n’a pas de sexe. Un écran. Une page blanche. Pour l’instant.

Il est malaisé de trouver le sujet du siècle, celui qui intéressera et séduira la masse. Plutôt improbable. Ou impossible. Il est corsé d’écrire la première ligne, celle qui déclenchera l’avalanche de mots. Plus souvent, les phrases et les tournures suivent, mais exigent labeurs et résignation. Les doigts s’agitent, hésitent. L’esprit tranche.

La pensée est complexe. Elle découle du vécu, des paroles entendues, des actions accomplies, des expériences ressenties. La pensée évoque le passé et s’impose dans l’instant. La vie crée l’idée. On appelle ça l’inspiration quand vivement les pixels en résultent, visibles par l’œil aguerri, compréhensibles par l’esprit avisé. Sinon ? Le doute investit les neurones, le goût de fuir la chaise et l’écran déchire.

On n’attend pas l’inspiration. On l’accueille. En soi, une brise s’élève, un souffle actionne les doigts. Les yeux se lèvent, inspectent, approuvent, ou rejettent. L’inspiration vient, comme ça, au moment propice, ou inopportun. L’idée est là, elle germe dans les neurones, se laisse désirer. Soudain, paf ! Elle atteint droit au cœur. Car sans inspiration, le cœur ne peut rien, et l’âme attend. Comme dans la pratique du zen, il ne faut surtout rien brusquer. Rester libre, voilà ce qu’il faut. Vider l’esprit des distractions et des tensions. Être alerte sans le vouloir. L’idée s’imposera, les mots apparaîtront. L’urgence inhibe l’inspiration. Il y aura les mots, mais le cœur, lui, où sera-t-il ?

L’inspiration, c’est souffler les mots parfaits, sans vraiment comprendre pourquoi ils sont là. C’est le courage de s’asseoir là, sur cette chaise, devant cet écran, et de laisser aller l’esprit, et les doigts. C’est écrire un mot, un autre, une phrase, un paragraphe. Comme l’appétit qui vient en mangeant, l’inspiration vient en écrivant. C’est sourire devant une tournure, grimacer devant une autre, chercher la cooccurrence idéale, c’est écrire envers et contre tout, pour la joie des mots dits, non-dits et redits. C’est l’accident de déposer les bons mots sur une page vierge. Enfin, l’inspiration, c’est la modération, se retenir de ne pas tout dire d’un trait, en laisser pour demain, après-demain, etc. Ernest Hemingway disait : « J’ai appris à ne jamais tarir le puits de mon inspiration, à toujours m’arrêter quand il restait un peu d’eau au fond et à laisser sa source le remplir pendant la nuit. »

Je m’arrête donc. Pour la prochaine fois.

© Jean-Marc Ouellet 2017

Notice biographique

Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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