La face cachée d’une photo mythique

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Giant (Mikaël – Editions Dargaud)

Au début des années 1930, la crise économique frappe durement les Etats-Unis. C’est l’époque de la Grande Dépression, dans la foulée du terrible krach boursier de 1929. En attendant, crise ou pas, les gratte-ciel continuent de pousser comme des champignons dans les rues de Manhattan. Et forcément, quand le chantier d’un de ces buildings s’ouvre quelque part, les candidats se bousculent pour y travailler, même pour un salaire de misère et même dans des conditions de travail extrêmement dangereuses. De toute façon, lorsqu’un ouvrier meurt, on n’a aucun mal à lui trouver un remplaçant. Prenez le cas du futur Rockefeller Center, par exemple. En 1932, ce building commence seulement à sortir de terre mais bientôt, ce sera l’une des plus hautes tours de New York. « Quand la plus riche famille du pays se lance dans l’immobilier, ce n’est pas pour se construire un trois-pièces en ville », souligne Walter Winchel, l’ironique animateur radio que les ouvriers écoutent tous les matins en démarrant leur journée sur le chantier. Parmi ces ouvriers, il y a énormément d’immigrés irlandais. L’un d’entre eux s’appelle Dan Schackleton. Il vient de Kinsealy, dans le comté de Dublin. Il vient de rejoindre l’équipe des ouvriers irlandais, dans laquelle il remplace le malheureux Ryan Murphy, qui a trouvé mort sur le chantier quelques jours plus tôt. Dan découvre rapidement qu’un des gars de l’équipe est particulièrement impressionnant. Tout le monde le surnomme Giant, parce que c’est une véritable armoire à glace. Contrairement à Dan, qui n’arrête jamais de parler, Giant n’ouvre quasiment jamais la bouche. Pourtant, c’est lui que ses collègues chargent d’avertir la famille de Ryan du décès accidentel de celui-ci. Mais au lieu de dire la vérité, le colosse taciturne décide d’envoyer une grosse somme d’argent à Mary Ann, la veuve de Ryan, ainsi qu’une lettre dactylographiée dans laquelle il se fait passer pour son mari. Une correspondance régulière débute alors entre Giant et Mary Ann. Mais combien de temps ce mensonge va-t-il pouvoir tenir?

Tout le monde connaît cette fameuse photo d’un groupe d’ouvriers sur le chantier d’un gratte-ciel à New York. Ils prennent leur pause déjeuner en toute décontraction… tout en étant assis en équilibre précaire sur une poutre située à plusieurs centaines de mètres de hauteur! Fasciné par cette image, l’auteur franco-canadien Mikaël s’est renseigné sur son origine et a découvert qu’il s’agissait en réalité d’une photo publicitaire réalisée pour le Rockefeller Center. On ne connaît pas avec certitude l’identité du photographe ni celle des hommes qui posent, mais on sait qu’il s’agit d’un groupe d’ouvriers d’origine irlandaise. Du coup, Mikaël a imaginé une fiction autour de cette image mythique. On découvrira les circonstances exactes de la réalisation de cette fameuse photo dans le tome 2 du diptyque mais en attendant, ce premier album constitue déjà une formidable entrée en matière. Certes, c’est de la bande dessinée classique, mais c’est tellement bien raconté et dessiné qu’on ne peut que s’enthousiasmer. Comme le souligne Jean-Louis Tripp dans la préface de la BD, Mikaël sait comment raconter une bonne histoire. Personnages attachants, dialogues rythmés, rebondissements et révélations: tous les éléments sont réunis pour embarquer le lecteur dans cette petite histoire au sein de la grande Histoire. Si on ajoute à cela des dessins parfaitement maîtrisés, qui font parfois penser à du Régis Loisel version « Peter Pan », on se rend compte que Mikaël, qui avait surtout fait de l’illustration de récits jeunesse jusqu’ici, est sans doute un futur grand de la BD. Peut-être même un géant… comme son personnage principal.