Tout ce qu'on ne s'est jamais dit · Celeste Ng

Par Marie-Claude Rioux

Dans une petite ville de l'Ohio, en 1977, Lydia Lee, seize ans, est retrouvée noyée dans un lac. S’agit-il d’un suicide? d’un meurtre? d’un accident?

Lydia disparue, sa famille commence à se dissoudre. C’est que Lydia cimentait la vie et les espoirs de ses parents. Ses parents... Oui, parlons-en! James, fils d'immigrés chinois, espérait enseigner à Harvard, où il a fait ses études. Il se contente d’enseigner à l’université de l’Ohio.Sans comprendre pourquoi, il avait étudié le sujet le plus fondamentalement américain qu’il ait pu trouver – les cow-boys –, mais il ne parlait jamais de ses parents ni de sa famille. Il avait quelques connaissances, mais pas d’amis. Il se sentait toujours mal à l’aise, comme si à tout moment quelqu’un risquait de le remarquer et de lui demander de partir.Sa rencontre avec Marilyn, belle Américaine blonde aux yeux bleus, le rapproche de son grand rêve américain: la parfaite intégration. Marilyn a fait une croix sur son ambition de devenir médecin. «Tout ce dont elle avait rêvé s’était évanoui, comme une fine brume dans la brise». Femme au foyer, elle a jeté son dévolu sur Lydia, mettant tout en œuvre pour que son ado réalise le rêve auquel elle a renoncé.James et Marilyn ont eu trois enfants: Nath, Lydia et Hannah. Pourquoi Lydia est-elle la préférée des parents? Pourquoi est-ce sur elle que tous les espoirs reposent? Parce qu’elle est la seule des trois à ressembler à sa mère, ayant hérité de ses yeux bleus? Je n’ai pas trouvé d’autres raisons…Qui est vraiment Lydia? En apparence: une jeune fille qui «absorbait les rêves de ses parents, faisant taire les réticences qui bouillonnaient en elle.» Mais derrière cette facade apparaît une jeune fille pleine d’ombres et de secrets? Au final, personne, dans cette famille, n’a su la percer à jour.


Tout ce qu’on ne s’est jamais dit distille un réel malaise. Quand le vernis craque, c’est rarement beau en dessous! Les tensions au sein de la famille Lee et la frustration explosive sont palpables tout au long du roman. J’ai aimé que la narration zigzague dans le temps, changeant de voix,chaque chapitre braquant le projecteur sur un personnage.

Le caractère unidimensionnel des personnages m’a fait grincer des dents. Peu de nuances, ici. James n’aspire qu’à se fondre dans la masse, à se sentir à sa place, alors que Marilyn ne rêve qu’à se distinguer; briller en traçant un chemin qu’elle seule aurait tracé. La frustration de ne pas y être parvenue se déverse sur sa fille. Alors que Marilyn désespère que Lydia devienne médecin, James espère que sa fille soit populaire, entourée d'amies, soit une belle petite Américaine bien intégrée. Les deux autres enfants Lee sont totalement ignorés. Nath, récemment accepté à Harvard, ne recueille ni félicitations ni encouragements de la part de ses parents. La jeune Hannah, laissée seule à elle-même, trouve souvent refuge sous une table, d’où elle peut tout observer. Hannah semble n’être qu’un personnage-prétexte pour observer la dissolution de sa famille.Pour le portrait social, par contre, chapeau. Celeste Ng dépeint avec une grande acuité la difficulté d’être différent (origine ethnique, couple mixte, homosexualité) dans une petite ville américaine de la fin des années 1970. Le racisme, omniprésent, est distillé par des attitudes et petits gestes sournois. L'isolement de la famille en devient d'autant plus palpable.Le roman fonctionne sur une mécanique bien huilée de révélations au compte-gouttes. Celeste Ng sait faire monter la tension, ménager les effets. L’attention aux détails est remarquable: un regard dénigrant, des non-dits que l’on devine, des mensonges qui blessent. Écrit dans un style clair, sans fantaisie, émaillé de réflexions sur le racisme et le sexisme, le roman file à toute vitesse, sans aucune longueur.Ceci dit, Tout ce qu’on ne s’est jamais ditn’a pas été le coup de cœur attendu. J’espérais être autant emballée qu’Eva et Nelfe, mais de toute évidence, ce n’est pas le cas. Aussi, ne vous arrêtez pas à ma petite déception et allez plutôt lire des billets plus enthousiastes. Ce n'est pas ça qui manque.Tout ce qu’on ne s’est jamais dit, Celeste NG, trad. Fabrice Pointeau, Pocket, 288 pages, 2017.