Anna Karénine – Léon Tolstoï

Par Cpmonstre

Enfin, j'ai tourné la dernière page l'autre jour du livre que je lisais petit bout par petit bout depuis 2 ans : Anna Karénine le " livre-que-je-dis-avoir-lu-alors-que-ce-n'était-pas-vrai ". On s'en fait toujours toute une montagne des classiques, alors qu'en fait c'est pas si pénible et ils peuvent même parfois réserver une très très bonne surprise.

Publié en 1877, Anna Karénine raconte (entre autres) la petite vie plan-plan d'une femme de la haute bourgeoisie. Respectée de la bonne société et mariée à un illustre homme politique rigide comme une porte de prison, Anna Karénine va finir par tomber dans les bras d'un jeune et beau officier, Alexis Vronski, quitte à provoquer un scandale terrible. Pendant ce temps, Constantin Levine, grand propriétaire terrien, vit loin de la société et cultive le goût du travail et de la terre. Ayant fui la capitale après que la jeune Kitty, amoureuse de Vronski (oui elle aussi), a refusé de l'épouser, il mène sa petite barque bien loin des considérations futiles de sa classe sociale.

Alors là, je vis une petite fierté de lectrice : avoir fini un grand classique et avoir lu enfin un Tolstoï. Il faut savoir, que pendant longtemps, le nom de Tolstoï évoquait pour moi celui d'un héros du drame romantique, et ô combien tragique,Le Barbier de Sibérie. Film américano-russe de la fin des années 90, avec Julia Ormond et Richard Harris, l'histoire n'a rien à voir avec Anna Karénine si ce n'est les quelques références qui parsèment le film et le nom de son héros, Andreï Tolstoï (joué par Oleg Menchikov). C'est pourquoi en démarrant Anna Karénine, j'avais des images pleins la tête déjà de cette Russie Impériale fastueuse et depuis disparue, des costumes et des valeurs russes immuables (l'honneur, la respectabilité, le sens moral...).

Donc. Anna Karénine. J'ai non seulement découvert un chef d'oeuvre de la littérature russe du XIXe siècle, mais également un roman passionnant et complexe. Ravie je suis.

Qu'on se l'avoue tout de suite, pour Léon Tolstoï, Anna Karénine n'est pas un roman romantique. De ce que je crois avoir compris, " l'amourette " entre Anna et Vronski est pour l'auteur l'ultime preuve que l'aristo-bourgeoisie avec ses mondanités et ses frivolités, est la gangrène du pays. Léon Tolstoï, faut le rappeler, était un homme qu'on pourrait appeler de nos jours un anti-capitaliste pour qui seule une vie d'abnégation, de modestie et de dur labeur, à l'instar du personnage de Constantin Levine, serait le salut de l'espèce humaine. Une partie de l'histoire dont je ne connaissais absolument pas l'existence ni l'importance et qui me pousse à dire que notre réception vis à vis d'Anna Karénine semble avoir beaucoup évolué. Il n'y a qu'à voir les nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles où l'histoire d'amour est au premier plan de l'intrigue alors que le récit de Constantin Levine et sa philosophie de vie qui prennent une place considérable dans le roman, a été minimisé, si ce n'est occulté.

C'est donc en lisant le roman que l'histoire entre Anna et Vronski se révèle en réalité être une simple anecdote, une parabole qui montre à quel point l'infidélité est détestable et lourde de conséquences. Selon Léon Tolstoï, il est préférable de souffrir et de rester vertueux plutôt que d'assouvir ses désirs et ses passions si on ne veut pas mal finir. Pourtant ça n'empêche pas le bougre de porter un regard particulièrement indulgent aux hommes infidèles du roman, quoique lucide sur les réalités sociales du XIXe siècle. En effet, seule Anna Karénine paiera chèrement son infidélité alors que son frère, le jovial et comique Stépane Oblonski (qui trompe sa femme avec la bonne des enfants) et Alexis Vronski s'en sortiront sans dommage. Forcément j'ai eu du mal, en tant que jeune femme du XXIe siècle, avec ce propos : t'es un homme et t'es infidèle ? Pas grave, une petite tape sur les doigts et pis ça repart. T'es une femme qui ose tromper son mari par amour ? Ouh Vile Tentatrice, suppôt de Satan, AU BÛCHER ! Quitte à décevoir ce cher Léon, le roman reste à mes yeux l'incroyable et tragique parcours d'une femme qui souffre de sa condition de femme mariée à une époque où il est impossible d'être une mère, une épouse et une amante tout en restant une femme bien sous tous rapports.

Anna Karénine est un roman aussi foisonnant et touffu que la forêt amazonienne qui offre plusieurs pistes et niveaux de lecture. Mais c'est surtout, et ça faut pas l'oublier parce que c'est ce que j'ai personnellement adoré, une passionnante chronique de la société russe du XIXe siècle portée par une multitude de personnages de l'aristocratie et de la paysannerie.

Tenez-vous le pour dit, c'est à lire !