Comment rebondir quand on est un triste employé de bureau?

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Les deux vies de Baudouin (Fabien Toulmé – Editions Delcourt)

Baudouin s’en rend bien compte: il est en train de passer à côté de sa vie. Tous les jours, ce trentenaire tristounet se rend à son boulot à contre-coeur. Il est juriste chez Corex, une grande société basée dans une des tours de La Défense, à Paris. Seul dans un bureau anonyme, il analyse des contrats à longueur de journée sous les ordres d’un patron qu’il déteste. Sa seule distraction est d’ouvrir de temps en temps le tiroir de son bureau pour regarder le compteur qu’il s’est fabriqué afin de connaître le nombre de jours de travail qu’il lui reste avant la retraite. « Pourquoi tu démissionnes pas si ça t’emmerde tellement? », lui demande un collègue. « Je vois pas ce que je pourrais faire d’autre », lui répond Baudouin, qui rêvait pourtant de devenir musicien lorsqu’il était plus jeune. Un rêve qui lui paraît désormais totalement inaccessible. Car si Baudouin ne quitte pas son travail, c’est aussi parce qu’il doit rembourser l’emprunt bancaire contracté pour l’achat de son appartement. Un petit studio de célibataire, dans lequel il vit seul avec son chat. Autant dire que Baudouin semble bien parti pour s’ennuyer comme un rat mort jusqu’à la fin de ses jours… sauf que deux éléments inattendus vont venir perturber son quotidien plan-plan. Le premier, c’est l’arrivée de son grand frère. Luc est tout l’inverse de Baudouin: c’est un baroudeur séducteur, qui sillonne le monde pour des projets humanitaires. Débarquant chez Baudouin à l’improviste, il bouscule son frangin pour l’obliger à mettre enfin un peu de piment dans son quotidien. Le deuxième événement inattendu survient le jour où le médecin de Baudouin lui apprend qu’il a un cancer et qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. D’abord sonné par cette nouvelle, le petit juriste décide alors de tout plaquer pour s’envoler vers l’Afrique avec son frère.

Trois ans après « Ce n’est pas toi que j’attendais », un roman graphique autobiographique très touchant sur la naissance de sa fille trisomique, Fabien Toulmé change de registre avec « Les deux vies de Baudouin ». Du moins en apparence. Car si son nouveau livre n’est pas une bande dessinée autobiographique à proprement parler, le personnage de Baudouin a tout de même un gros point commun avec le parcours personnel de l’auteur. Comme son héros, Fabien Toulmé a d’abord emprunté une toute autre voie professionnelle avant de finalement revenir vers le métier dont il rêvait quand il était enfant. Sauf que dans son cas, ce métier n’était pas musicien, mais dessinateur de bandes dessinées. Après des études d’ingénieur en génie civil et urbanisme, il a en effet travaillé dans un autre domaine que la BD pendant 10 ans, avant d’y revenir progressivement à partir de 2008 et même de s’y consacrer intégralement depuis le succès de « Ce n’est pas toi que j’attendais ». On peut donc dire que Fabien Toulmé connait très bien le thème de la réalisation personnelle, qui constitue le coeur des « Deux vies de Baudouin » et qui est un thème très à la mode dans notre société postmoderne en perpétuelle quête de sens. Mais contrairement à son livre précédent, il a choisi de traiter ce thème par le biais de la fiction. Utilisant comme point de départ un homme qui a renoncé à ses rêves d’enfant, il construit un scénario très bien ficelé autour du parcours de deux frères que tout oppose, mais qui vont être rapprochés par les aléas de la vie. Certes, les personnages sont parfois un peu caricaturaux, mais on se laisse vraiment embarquer par ce récit fraternel émouvant, dans lequel Toulmé recourt à de nombreux flash-backs pour amener ses lecteurs à un twist final vraiment surprenant. Et en refermant le livre, on retient cette célèbre citation de Confucius: « on a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une ».