Lettre à Line, d’Amélie Billon (Alice, 2015)

Par Lupiot

L'autre jour, fouinant dans ma chère bibliothèque municipale, je suis tombée par hasard sur Lettre à Line. La couverture bizarre m'a retournée l'estomac et la quatrième de couverture qui m'a aussitôt rappelée mon propre vécu. Il fallait absolument que je le lise !

Louise est adulte et a laissé son adolescence derrière elle depuis longtemps. Pourtant, un jour, sa fille tombe sur une photo d'elle à treize ans aux côtés d'une jeune inconnue... et Louise se replonge dans ses souvenirs. Elle rédige donc une longue lettre à Line, sa meilleure amie du collège. Elle déroule le fil d'une amitié qui se brise sur les convenances sociales et les moqueries cruelles si caractéristiques de cet âge. Line s'enfonce sans que Louise trouve la force de lui tendre la main.

Lettre à Line est une magnifique ode à l'amitié, mais aussi une critique de l'adulte sur le comportement de l'adolescente qu'elle était.

Les +

On suit l'amitié entre Line et Louise. Par petites touches, quelques souvenirs simples, mais réalistes et beaux, l'autrice nous esquisse l'amitié sincère et candide qui lie encore les deux jeunes filles à l'entrée du collège. Puis au fur et à mesure, Louise comprend qu'il faut s'adapter pour s'intégrer, ce que Line refuse ardemment. Louise laisse alors tomber Line, se laissant embrigader par le groupe, elle va même jusqu'à participer aux coups bas contre Line, pourtant incapable d'oublier leur ancienne amitié. La culpabilité vient ainsi compliquer encore un peu plus leur relation, empêchant toute réconciliation. De son côté, Line souffre de cette distance croissante avec son ex-meilleure amie et s'enferme dans une spirale autodestructrice.

Les relations fusionnelles, les heures à parler, sur les bancs du collège, au téléphone jusqu'à minuit, à rêver d'un futur prometteur mais lointain, les disputes et les réconciliations passionnées, les mots au blanco ou au crayon senteur sur la trousse, l'agenda, le sac à dos, les mercredis après-midi chez les uns ou les autres, vous vous en souvenez ? Cette amitié nous renvoie à cette drôle d'époque où vivre par ses amis était une nécessité, une question de survie.

    Un point de vue narratif super bien géré

Nous avons une héroïne adulte et ado en même temps, et les deux voix sont justes. Sous prétexte d'une lettre écrite à son amie d'enfance, Louise jette un regard adulte sur son amitié avec Line et sur les raisons de leur séparation. Le ton est juste et puissant, empreint d'une profonde bienveillance, mais Louise se montre aussi critique vis-à-vis d'elle-même et de son comportement d'alors. " Pourquoi " est la question de fond, ressassée sans cesse.

Pourquoi Louise n'a pas su tendre la main à Line ? Pourquoi n'a-t-elle pas pu dépasser les convenances sociales ? Pourquoi n'a-t-elle pas vu (ou voulu voir) ce qui était en train d'arriver à Line ?

Le recul de Louise-adulte permet d'amorcer un début de réponse : parce que le désir de s'intégrer, d'" en faire partie " est vif chez presque tous les adolescents, aujourd'hui comme hier. D'ailleurs, Louise-adulte ne s'en blâme pas, elle se reproche seulement de ne pas avoir défendu son amie, de l'avoir abandonné, d'être " tombée aussi bas ".

Par les yeux de Louise, on voit comment Line s'enfonce de plus en plus dans la dépression puis l'anorexie. Jamais nommée, celle-ci n'apparaît qu'en filigrane, dans la maigreur de Line, dans l'inquiétude de sa mère qui appelle celle de Louise pour demander conseil. La descente en enfer de Line est réaliste et progressive, étape par étape. Avec finesse, l'autrice sait montrer en même temps le refus de Louise-ado de voir la détresse de son amie et la culpabilité de Louise-adulte qui comprend avoir sciemment refusé de voir.

Le -

Il fallait s'y attendre avec des thèmes comme la culpabilité, l'anorexie, l'assimilation aux conventions sociales : on ressent parfois une volonté un peu trop pédagogique. En évoquant la fille de Louise, l'autrice cherche à sous-tendre une certaine transmission, celle d'une valeur, humaine et humaniste, certes, mais qui par moment rend la leçon un peu artificielle.

EN CONCLUSION

Lettre à Line est en même temps un roman triste et optimiste, oui, oui.

Ce n'est pas un grand spoiler de vous dire que Louise et Line ne se réconcilieront pas. Mais, plus encore qu'une ode à l'amitié, ce récit est une invitation à s'améliorer, à apprendre de ses erreurs. Comme le reste du roman, la fin est vraiment touchante et montre comment Louise fait la paix avec Line par delà le temps passé. Essentiel pour les ados pour parler de culpabilité, d'amitié, d'anorexie, mais aussi pour les adultes pour faire la paix avec leur propre adolescence, leurs petites trahisons. Toutes ces choses lointaines qui nous tournent dans la tête et nous tiennent en éveil les nuits d'insomnie.

Bonne lecture,

Le mot de Lupiot : Stern est une nouvelle rédactrice sur Allez Vous Faire Lire. La plume aiguisée, dotée d'un esprit analytique et d'une bibliothèque jeunesse en acier trempé, elle arrive pour tout déboîter.