Maître d’école, foule et bêtise… par Jean-Pierre Vidal…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Le maître d’école, Patrice Butel

251. — Du maître au professeur, du professeur à l’enseignant, de l’enseignant à l’aide-apprenant, le déclin de l’éducation occidentale se marque dans ce passage du substantif à ces verbes immobiles, ces quasi adjectifs que sont les participes présents, et s’opère dans l’oubli et même l’interdiction du dialogue. Seul, en effet, le maître permet le dialogue parce qu’il est une position, le lieu de rencontre entre le multiple et l’un, la convergence provisoire des directions d’un rapport. Pour cette raison, de son public il fait un anti et un anté-maître, et non une jambe en attente de béquille.

252. — La complexité non seulement revendiquée, mais poursuivie est la seule chance qui reste à notre liberté dans un monde où l’on veut sans cesse nous réduire à la masse, nous simplifier dans l’indistinct du collectif.

253. — La société médiatique commande de rapprocher l’art du public. Comme si tout art ne consistait pas au contraire à éloigner le public de lui-même, ce qui, malgré les apparences, est tout le contraire de la distraction.

254. — La charité n’a jamais rien réglé d’autre que la conscience de ceux qui la font… ou croient la faire.

255. — Bêtise est le nom propre de la foule, et bestialité celui du nombre. Les humains ne sont supportables qu’en petit comité ; encore ne faut-il pas qu’il se soit lui-même baptisé « de salut public », ne serait-ce que parce que ces deux termes sont incompatibles. J’ai dit « les humains », mais il faudrait dans ce cas-là revenir à la vieille appellation sexiste et dire « les hommes », car qui donc peut prétendre avoir déjà vu une foule de femmes ? Même quand elles manifestent pour une des causes qui leur sont propres, elles ne se fondent jamais en ce monstre incontrôlable que l’on appelle une foule.

256. — Quand la vie se retire, on prend plaisir à la voir passer. C’est pourquoi les vieux adorent le spectacle de la rue. Mais les vaches regardant les trains ? Voient-elles passer l’abattoir ?

257. — Pourquoi l’homme contemporain s’embarrasserait-il d’art ? Il n’a déjà plus le temps de laisser venir à lui la beauté et il n’aura bientôt plus l’envie de faire l’effort de la reconnaître.

258. — Le terrorisme est la version sanglante des sondages. Aveugle, sourd, sans nuances, impitoyable, comme eux. Il en est aussi, bien sûr, le contraire absolu.

259. — Imaginer le pire ne suffit pas à se prémunir contre lui. Mais imaginer le meilleur, c’est d’avance le rendre surfait ou même inutile.

260. — Entre une idée simplette et un coup de génie, il n’y a, bien souvent, que l’espace d’un consensus inattendu.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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