Infowar et quête de la Beauté, par Pierre Raphaël Pelletier…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Osons l’humain, Pierre Raphaël Pelletier

L’infowar, qui a eu comme meneur de jeu les États-Unis et que l’on a rapidement orientée hors de la toile, faute de pouvoir la contrôler, met en évidence ce dont sont capables nos libérales démocraties quant à la défense du droit à une information libre et entière.
À lire les commentaires d’analystes sérieux qui reviennent fréquemment sur le sujet, rares sont les dirigeants des grands médias qui, sous la force de pressions politiques, ne caviardent pas l’information qu’ils nous servent à la façon de petits spectacles.
À frelater sciemment l’information, on encrasse les artères de la démocratie. Je prends un autre café et je feuillette les journaux régionaux. Certaines chroniques nous racontent la petite histoire de braves gens qui, par des gestes de solidarité très simples, contribuent au bien-être de la Cité. À peu de frais, ce genre d’article me donne le coup de pouce qu’il me faut pour ne pas retomber dans la mare à crapauds.
Du café, je décide de passer chez Jules. C’est tout près, à dix minutes de marche.
Je cogne à sa porte plusieurs fois. Pas un signe de vie. Je récidive en cognant beaucoup plus fort. Des ramures torsadées d’un érable à Giguère d’où elles m’observent, les corneilles se mettent à leur tour de la partie en faisant tout un charivari.
« Alors, là, mon Jules, si tu n’ouvres pas, tu peux crever seul dans ton coin. »
J’attends encore un peu, mais toujours rien. Un peu dépité, j’abandonne.
Si tôt en journée, je n’ai pas le goût de revenir à ma planque.
Tout naturellement, je retourne au marché.
Le vent est doux.
Sa douceur fleure le lilas.
Peindre
Je laisse en plan une marche tracassière. Je retourne à mes fardoches.
La nuit est jeune. Je m’installe à mon chevalet.
J’entreprends de retravailler une toile qui me tord les boyaux depuis des semaines.
Qu’y a-t-il qui ne va pas entre cette toile et moi ? Le choix de mes couleurs ? Leur agencement peut-être ? Mes coups de pinceau ? Trop forcés ? Trop fardés ? Trop prévisibles ? La composition du tableau n’est pas assez transgressive ? Pas assez délinquante ? Où est-ce plutôt moi qui bousille tout, en remettant chaque fois en question la justesse des précieuses incertitudes qui se pointent dans l’incréé, entre la toile et moi.
La symbolique du passage vers… la distance qui s’ouvre à l’autre n’est-elle pas un des éléments essentiels de la pratique artistique ? Les itinéraires qui convergent vers un centre, un commencement, l’origine d’un monde sont cette quête qui nous projette à l’avant-scène de nos propres identités de création. L’art comme lieu d’origine et de mouvance exprime le moi dès sa naissance et celui de son devenir. Cette trajectoire de l’art, habitée par nos appartenances, nos errances, nos dérapages, nos dérives, est constitutive de la durée, de l’immuable. La beauté exulte d’être si rebelle. À vouloir la définir, on la tue.
Je peins et peindrai jusqu’à l’aurore. Plusieurs semaines encore, avant d’être en osmose avec ma toile.
La solitude.
Au fond de mon donjon, je savoure la disjonction que me procure l’extrême fatigue, seul succédané, si pauvre soit-il, à ma dose d’alcool.
Disparaissent alors toutes frontières entre ces réalités biscornues qui multiplient les langages de l’impériale réalité à laquelle nous nous contraignons.
Silence à l’âme grisante. Je flotte dans les bras d’une caresse aux joues pleines de lèvres. Pendant quelque temps, j’erre avec elle. Lentement, pudiquement, elle se détache de mon corps. La solitude se retire de mon espace.
À l’heure avancée de l’Est, espoir pugnace au ventre, je me remets au travail.

(Extraits de : Pierre Raphaël Pelletier, Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés, Éditions David, 2012.)

L’auteur

À la fois poète, romancier, essayiste et artiste visuel,Pierre Raphaël Pelletier a publié une vingtaine de livres touchant différents genres et réalisé plus d’une trentaine d’expositions (solos ou en groupe) de sculptures, de peintures ou de dessins. Il s’est aussi fait connaître par son implication dans un éventail d’organismes artistiques et culturels de la Francophonie canadienne comme l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français, dont il est l’un des membres fondateurs.

Vers la fin des années 1970, Pierre Raphaël, après une maîtrise en philosophie, tient diverses chroniques sur les arts visuels à la radio de Radio-Canada et pour le journal Le Droit. Entre 1977 et 1982, il est responsable des secteurs de l’animation culturelle et du Centre des femmes et Étudiant-e-s étrangers-ères de l’Université d’Ottawa. C’est à partir de cette époque qu’il réalise plusieurs études et recherches sur la situation des arts et de la culture en Ontario, notamment Étude sur les arts visuels en Ontario français (1976) et Étude des centres culturels en Ontario (1979). Jusqu’à la fin des années 1990, il aura aussi écrit des articles parus dans des revues, comme Le Sabord, Éducation et francophonie et Liaison.

Parmi ses publications, notons le recueil de poésie L’œil de la lumière(L’Interligne, 2007) pour lequel il remporte, en 2008, le Prix Trillium, le roman Il faut crier l’injure (Le Nordir, 1998), qui lui permet de gagner le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen et le Prix du livre d’Ottawa-Carleton en 1999. Il est également l’auteur du récit Entre l’étreinte de la rue et la fièvre des cafés (David, 2012) et de l’essai Pour une culture de l’injure (Le Nordir, 1999) écrit en collaboration avec Herménégilde Chiasson. (Éd. David)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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