Dans les yeux (vides) de ma mère

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Le Perroquet (Espé – Editions Glénat)

L’histoire se passe dans un petit village du Sud-Ouest de la France, au début des années 80. Bastien est un petit garçon de 8 ans qui a tout pour être heureux. Il vit avec son papa et sa maman, qui ont eu Bastien alors qu’ils étaient encore très jeunes, et passe beaucoup de temps chez ses grands-parents maternels, qui habitent juste à côté. Mais en réalité, on comprend très vite que Bastien est loin d’avoir la même vie que les autres enfants de son âge. Car depuis qu’il est tout petit, sa maman est malade. Très malade, même. Pas une maladie physique, dont on peut facilement déceler la cause pour essayer de la soigner, mais une maladie mentale. Souvent, elle fait ce que son papa et ses grands-parents appellent des « crises ». D’un moment à l’autre, elle peut passer d’un état qui paraît normal à un état de fureur absolue, dans lequel elle hurle très fort et casse tout ce qui lui tombe sous la main. Souvent aussi, elle a envie de mourir, afin d’être enfin libérée de ses souffrances. D’après les médecins, la maman de Bastien souffre de « troubles bipolaires à tendance schizophrénique ». Le problème, c’est que ses crises sont de plus en plus rapprochées, malgré les innombrables médicaments que les médecins lui font avaler, du Stilnox au Xanax en passant par le Valium. Elle a aussi essayé tous les traitements, que ce soit la sophrologie, la phytothérapie, la psychothérapie, les cures de sommeil ou même les électrochocs. Mais rien n’y fait: du coup, elle passe de plus en plus de temps dans des établissements spécialisés. Et lorsqu’elle revient de temps à autre à la maison entre deux séjours à l’hôpital, Bastien ne la reconnaît presque plus car elle ne réagit plus à rien, et n’a plus aucun sentiment, ni plus aucune envie.

« Le Perroquet » est un récit autobiographique extrêmement fort. Un livre coup de poing que son auteur, Espé, a mis 30 ans à réaliser, tant cette histoire est remplie de souffrance. « J’ai eu un mal fou à le faire », reconnait-il. « J’en ai été malade, vraiment malade, mentalement et physiquement ». La bonne idée trouvée par Espé pour transposer en bande dessinée les troubles bipolaires de sa mère, sans pour autant verser dans la noirceur la plus totale, a été de la raconter du point de vue d’un enfant. L’auteur français a même été jusqu’à adapter son style de dessin par rapport à ses autres albums (notamment « Château Bordeaux » et « L’île des Justes ») en optant pour un trait brut et expressionniste, sans artifices, proche d’un dessin d’enfant. Il a également choisi une colorisation particulière, avec des cases qui virent au rouge lors des crises de la maman de Bastien, par exemple. « J’ai cherché pendant des années le bon angle pour raconter cette histoire », explique Espé. « L’idée de voir tout ça à travers le regard d’un enfant crée une distance nécessaire, une douceur, une naïveté et pourtant une grande lucidité. Ce point de vue suscite de l’empathie, ce qui me semble indispensable pour raconter une telle histoire. » Structuré en une vingtaine de courts chapitres, le roman graphique « Le Perroquet » est un livre courageux, qui s’intéresse de manière sensible à un sujet encore tabou dans notre société. Il s’agit pourtant d’une problématique bien réelle, voire alarmante, puisque rien qu’en France, plus de 400.000 personnes ont été hospitalisés pour des soins psychiatriques en 2015. « Le Perroquet » est un livre à la fois universel et personnel. Une BD souvent déchirante, mais qui mérite à coup sûr le détour.