Ce que tient ta main droite t'appartient Pascal Manoukian

Par Marie-Claude Rioux

Pour qui veut comprendre le monde qui l’entoure, Pascal Manoukian est un auteur incontournable, un éveilleur de conscience. Ses romans confrontent, ébranlent, éclairent l’actualité. C’était le cas avec Les échoués. C’est encore le cas avec Ce que tient ta main droite t’appartient.

Karim est musulman. «Un musulman français, respectueux du prophète sans être un fou de Dieu, un homme à l’aise dans son temps, sans a priori, soucieux d’enseigner à ses enfants la tolérance comme première religion, capable d’aimer indifféremment une musulmane, une juive ou une chrétienne, de boire une bière de temps en temps, de respecter les femmes et leurs libertés, de faire une place dans sa vie aux gays et à tous ceux qui pensent autrement pourvu qu’ils l’expriment respectueusement et sans agressivité.»

Charlotte est chrétienne. Elle aime Karim. Ce soir, elle rejoint des amies pour l’apéro au Zébu blanc.

Chanchal, trente ans, immigrant bangladais, vend des roses aux terrasses des cafés. Iman, immigrante somalienne, partage sa vie.

Rien ne les prédestinait à se trouver et encore moins à se plaire. Lui a survécu aux moussons, elle à la sécheresse. Lui croit en Vishnu, elle encore un peu en Allah. Pourtant, malgré leurs différences, comme deux morceaux de bois flotté, ils s’étaient accrochés l’un à l’autre, une vingtaine d’années plus tôt sur une plage de Houlgate, et depuis se servaient mutuellement de bouée, en s’aidant à surnager dans une Europe où tout le monde cherchait à les renvoyer d’une frontière à l’autre.

Aurélien, trente ans, «s’est débarrassé de sa vie d’avant, comme d’une première peau.» Las de vivre dans une cité, las de sa mère, las de son avenir bouché, le jeune homme s’est converti à l'islam. Il a rejoint Daesh.Ce soir, il se fera exploser au Zébu blanc. Il mourra en martyr.

En route pour aller retrouver Charlotte, Karim fait face à l’inimaginable, à l’insoutenable. Charlotte n’est plus, l’enfant qu’elle porte non plus. Chanchaln’est plus. Aurélien n’est plus. Près de quarante morts, autant de blessés.

Impossible, pour Karim, d’affronter le vide d’un monde sans Charlotte. Il est anéanti. Venger la mort de sa femme et de l’enfant qu’elle porte sera dorénavant sa raison de vivre. Il décide de rejoindre les rangs des djihadistes. Il part en Syrie, dans l’unique but de tuer Abou Ziad, un puissant dirigeant de Daech

La suite du roman décrit pas à pas l’«embrigadement» de Karim. D’abord le recrutement par Internet, la préparation du départ et la rencontre de d’autres désoeuvrés. Puis, le long et périlleux voyage vers la Syrie. Puis encore l’entraînement, l’horreur brut, la propagande.

Karim doute, vacille, enrage. Il tombe et se relève. Se rapproche du but, s’en éloigne. S’en rapproche encore, encore... Venger Charlotte? Mais à quel prix?

Ce roman coup de poing est un mal nécessaire. Pascal Manoukian ne nous épargne rien de l’horreur et de la barbarie. Lesmotivations des uns, le mécanisme d'embrigadement, les victimes collatérales, la douleur de ceux qui restent, l’incompréhension, l’effroi. Mais, comme dans Les échoués, la bonté, l’espoir et l’amour poussent sur le terreau de la violence et de la haine.

La construction du roman est impeccable, le style incisif. Chaque mot est à sa place. Pascal Manoukian orchestre la montée de la tension jusqu'à son apogée, d'une rare intensité. La fin, désarçonnante, imprévisible, clôt magistralement bien la boucle. Et cet espoir qui réchauffe le coeur, avec l’amour de Karim et Charlotte, de Chanchal et d’Iman...

Plus qu'une bonne histoire, Ce que tient ta main droite t’appartient soulève des questions incontournables sur un sujet sensible devant lequel personne ne devrait fermer les yeux. Un roman bouleversant, engagé, qui exhorte au réveil des consciences. À lire de toute urgence.

À méditer, encore et encore: «L’inculture est le terreau de tous les fanatismes.»

Ce que tient ta main droite t’appartient, Pascal Manoukian, Don Quichotte, 288 pages, 2017.© Reuters / Ali Hashisho