Le combat d’un artiste pour son île

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Le Retour (Bruno Duhamel – Editions Grand Angle)

Cristóbal est un célèbre peintre et sculpteur espagnol. Originaire d’une île volcanique perdue au milieu de l’océan, dont les paysages lunaires ont servi d’inspiration à la majorité de ses oeuvres, il est connu pour son caractère tout aussi… volcanique. Car Cristóbal est prêt à tout pour défendre « son » île contre les promoteurs immobiliers et les partisans du tourisme de masse. Depuis son retour au pays après s’être fait un nom comme artiste contemporain à New York, il se démène comme un beau diable pour empêcher la construction de grands complexes touristiques, allant jusqu’à convaincre d’autres artistes fortunés d’investir avec lui dans la construction de bâtiments touristiques écologiques et respectueux de la culture locale. Encore plus fort, il parvient à faire adopter par les autorités locales une interdiction des bâtiments de plus de 2 étages, ainsi qu’une interdiction des panneaux publicitaires sur l’ensemble de l’île. L’attitude intransigeante de Cristóbal lui vaut l’être une figure locale respectée et admirée, mais en agissant de la sorte, il s’est aussi mis à dos un grand nombre de personnes. A commencer par les promoteurs immobiliers, bien sûr, dont le seul objectif est de transformer la sauvage île volcanique en une lucrative « Costa del sol ». Lorsque l’artiste, devenu un brin mégalomane avec les années, trouve la mort dans un mystérieux accident de voiture, la police est donc contrainte d’ouvrir une enquête. C’est l’inspecteur Claudio Ramirez qui se voit confier la lourde tâche de fouiller discrètement dans le passé de l’homme le plus puissant et le plus controversé de l’île, afin de découvrir si sa mort est un réel accident… ou s’il a été assassiné par l’un de ses nombreux ennemis.

« Le Retour » est le premier album en solo du dessinateur français Bruno Duhamel, qui avait toujours travaillé en tandem avec un scénariste jusqu’ici. Pour écrire le scénario de ce roman graphique dessiné dans un style semi-réaliste, Duhamel s’est librement inspiré de l’histoire réelle de César Manrique, un artiste contemporain qui a lutté toute sa vie pour préserver la beauté de l’île de Lanzarote. Il y a un certain nombre de points communs entre Cristóbal, le personnage de la BD « Le Retour », et César Manrique. Comme dans le livre, ce dernier a réussi à imposer un projet immobilier autorisant uniquement la méthode de construction traditionnelle de Lanzarote, ainsi qu’une interdiction de tous les bâtiments de plus de deux étages et la suppression de tous les panneaux publicitaires situés sur les bords des routes. Comme Cristóbal, César Manrique a trouvé la mort dans un accident de la route tout près de sa propre maison. Mais la comparaison s’arrête là, car pour le reste, le personnage imaginé par Duhamel est confronté à des épreuves bien plus romanesques, allant même jusqu’à devoir affronter une éruption volcanique… mais aussi et surtout ses propres démons! « Raconter la vie de Manrique m’imposait un respect de l’oeuvre et de la personne qui risquait de m’interdire de malmener mon personnage et de sonder les recoins obscurs de la thématique », explique Bruno Duhamel. « J’ai donc choisi de créer Cristóbal et de réinventer l’histoire, les lieux, les oeuvres et les personnages. » Bien lui en a pris, car « Le Retour » se révèle être une histoire originale et passionnante, faite d’allers-retours entre l’enquête de l’inspecteur Ramirez et des flashs-back sur la vie de Cristóbal, permettant ainsi au lecteur de découvrir petit à petit le caractère complexe et tourmenté de l’artiste. Au-delà de l’histoire en elle-même, ce sont surtout les thématiques abordées par « Le Retour » qui en font un livre très intéressant, en particulier les questions de la résistance à la société de consommation et du rapport entre art et politique. Au final, « Le Retour » est donc une BD à la fois divertissante et philosophique. Chapeau l’artiste!