Nouvelle 21 (Trophée Anonym'us) : Le Parloir

Par Thelovebook @TheLoveBookBlog

Rappel du principe et des suspects.

Rappel du modus operandi : 26 auteurs édités et non-édités vont proposer une nouvelle noire ou polar (20.000 signes maximum). Les textes seront lus et jugés à l'aveugle de septembre 2016 à mars 2017 par les membres d'un jury (dont je fais partie) et qui se fera un grand plaisir de débattre et de délibérer pour trouver les gagnants. Ils seront trois à pouvoir participer au prochain festival des Pontons Flingueurs (en juin à Annecy) et le premier se verra également remettre une statuette en argile faite par l'organisateur.

Nouvelle n°21 (en et en PDF EPUB )

Axel n'écoute pas.
On lui a bien appris pourtant, à ne pas mettre ses coudes sur la table mais ce sont ses
bras tout entiers qu'il y pose et sa tête avec. Un œil est fermé par sa joue écrasée,
l'autre suit les motifs du papier peint : des oursons coupés en plein milieu par les
huisseries dont on a retiré les portes. Axel regarde au-delà des ouvertures béantes,
dans ce couloir où les gens avancent sans s'arrêter. Ceux qui le regardent ne le voient
même pas et dans quelques secondes ils l'auront probablement déjà oublié.
Axel se tortille sur sa chaise, son ventre le tiraille déjà mais cela n'a rien à voir avec la
faim.
Maman ne tardera plus.


Axel se rend au parloir tous les mercredis.
Même s'il connait le chemin par cœur, Michel lui tient inévitablement la main pour le
guider jusqu'à la petite pièce aux oursons bleus. Le même homme, qui chaque semaine
lui demande son nom. Axel porte celui de son père, VANDAELE, et Michel l'écorche
invariablement, comme s'il le faisait exprès.


Le père d'Axel est parti de la maison depuis presque deux ans. Il y a eu cette millième
dispute dans le salon, et puis il est entré dans sa chambre et a embrassé son fils sur le
front. L'enfant n'a pas grimacé en sentant la barbe dure piquer sa peau, il n'a rien dit et
a continué à faire semblant de dormir. Quand la porte a claqué, seulement, il a fondu en
larmes.
C'est de la faute de son petit frère, tout ça. Tout ce qui est arrivé, c'était à cause de
Barnabé.


Une créature chétive flanquée d'un prénom ridicule, qui avait à peine soupiré en venant
au monde ; un garçon maigre et jaune qui semblait laper l'air à grandes goulées dès
qu'on l'abandonnait à l'intérieur de son couffin.
Axel avait dès lors considéré son frère comme un fardeau fragile, un boulet de verre
encombrant qu'il devrait traîner avec soin jusqu'à ce que la chose soit capable enfin de
se débrouiller seule. Il n'avait rapidement plus pu supporter le souffle rauque et
embarrassant qui émanait de Barnabé. Cet écho caverneux qui s'extirpait avec peine de
ses bronches pleines de poix.


Elle l'avait surpris près du berceau, sa main pas bien large encore posée sur les
ronronnements de la vieille chatte, qui caressait pour féliciter. Maman avait vu Axel
tuer son frère, et ce bruit presque imperceptible qui s'était échappé de la chambre, elle
l'aurait reconnu entre mille, c'est Axel qu'elle avait entendu ricaner.
Mais elle n'avait rien dit. Elle n'avait pas crié, ne l'avait pas puni, ne l'avait pas rassuré
non plus. Elle ne lui avait simplement plus adressé le moindre mot.
À l'enterrement de Barnabé, elle s'était tenue loin d'Axel, elle avait toujours gardé deux
ou trois personnes entre eux pour ne pas croiser son regard. Axel l'avait cherchée
pourtant, il avait tenté de saisir sa main mais elle s'était mollement dérobée et avait
disparu dans les bras d'autres gens éplorés qui l'avaient cajolée des heures durant.


Axel vient voir Maman toutes les semaines. Et quand elle entre enfin dans la petite
pièce aux oursons bleus et s'assoit face à lui, il se met à sourire. Elle ne dit rien, ne le
touche pas. Elle évite de le regarder car tout en lui la révulse. Mais elle est là, il l'a tout
entière pour lui, une heure par semaine le mercredi.