Tarendol, René Barjavel

Par Sevxilian

Ma soeur ayant déménagé, elle m'a ramené plein de bouquins qui furent à notre maman et dont elle ne voulait plus. Me voilà donc avec un énorme carton de romans français que l'on pourrait classer dans la rubrique des classiques: beaucoup de Zola, du Victor Hugo, et puis Barjavel.

Autant les deux premiers auteurs ne m'ont jamais fait peur, autant Barjavel, avec son aura de science fiction rétro futuriste, me donnait un sentiment très confus. Bref, j'étais sur mes gardes, et me voilà donc à ranger des titres de Barjavel dans ma bibliothèque.

Tarendol, lis-je au dos du livre, est le seul roman classique d'amour de Barjavel. Ca me semble un bon compromis pour apprivoiser l'auteur, et je me suis lancée.

Résumé et avis en bref: Jean Tarendol, 18 ans, aime Marie, 16 ans, d'un amour pur et limpide. Ils fréquente la même école, lui côté garçons et elle côté fille. Il est pauvre mais riche de sa jeunesse et de son enthousiasme. Elle est la fille de la directrice de l'école de filles. Leur amour est confronté aux réalités de la vie et de la deuxième guerre mondiale. Leur amour, malheureusement, n'arrivera pas à transcender tout cela, finissant de manière tragique.

Ce livre fut un véritable coup de poing, tant par l'écriture poétique de Barjavel que par l'intensité des sentiments qui s'en dégagent. J'ai été assomée, clouée. Ca faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'aussi beau, que ce soit sur la forme ou sur le fond.

Le roman est divisé en trois parties: l'une pendant laquelle les jeunes gens s'aiment, la deuxième pendant laquelle ils sont obligés de vivre leur amour en cachette, et la troisième pendant laquelle Jean essaie vaille que vaille de trouver un avenir à leur amour pendant que Marie l'attend sagement auprès de ses parents.

Je reviens encore une fois sur la beauté du style de René Barjavel, si beau, et en même temps si fluide, si facile à lire. Lancez-vous, ce roman est tout simplement renversant. Une histoire d'amour pure et belle, un peu comme Roméo et Juliette, avec une fin tragique mais dans laquelle l'espoir se glisse tout de même.

Les couvertures: Mon édition montre une femme se lovant dans les bras de son amant, il semble fort et protecteur, se tenant bien droit et ancré dans le sol.

Les autres éditions montrent des valises (référence aux voyages de Jean), la main de Jean dans l'herbe emmêlée dans les cheveux de Marie (leurs nuits d'ivresse sur l'herbe), une image du film éponyme, ou encore une colombe et un coeur (référence plutôt chrétienne à la forme d'amour pur qu'éprouvent nos tourtereaux).

L'édition en anglais traduit le titre par Les Innocents Tragiques, ce qui est plutôt bien trouvé selon moi.

L'histoire: Jean Tarendol est en Terminale. Il est interne, bon élève et insouciant. Son père, qu'il a vu mourir des séquelles de la Première Guerre Mondiale, donnait à l'éducation une place d'importance. Malgré sa pauvreté, sa mère lui garanti de passer son bac pour lui ouvrir les portes des études supérieures.

Jean et ses copains font les quatre cents coups à l'internat, et un soir qu'ils bullent sur le toit de l'école, ils découvrent une fenêtre allumée, qui fait fit du couvre-feu. Dans l'embrasure de cette fenêtre, une jeune fille se déshabille et fait sa toilette. Jean tombe immédiatement amoureux et met tout en oeuvre pour découvrir qui est cette jeune fille.

Grace à la soeur de son meilleur ami, il apprend qu'elle s'appelle Marie et qu'elle est la fille de la directrice de l'école de filles. Jean envoie des missives enflammées à Marie, lui proclamant son amour.

Marie l'ignore d'abord, puis timidement se rapproche de lui. Les amoureux échangent quelques lettres, puis Jean se décide à approcher Marie lors de la promenade des filles. Dès lors, les deux tourtereaux font preuve d'inventivité pour se retrouver en dehors du village et se regarder dans le blanc des yeux, avec l'intensité des premiers amours véritables.

Mais la mère de Marie découvre le pot aux roses et décide, pour le bien de tous, que Marie devra partir en exil chez sa tante, dans le village perdu de St Sauveur, afin d'oublier ce malotru de Jean Tarendol.

Peine perdue, les amoureux sont en contact épistolaire, et Jean sait où est Marie. Un petit contretemps - trois fois rien, une dénonciation calomnieuse à la Gestapo et le passage du baccalauréat - et hop, Jean s'embarque pour St Sauveur, où il fait les moissons le jour et butine Marie en cachette la nuit, sur l'herbe douce qui pousse devant une petite chapelle.

Mais l'idylle prend fin lorsque les parents de Marie, à la fin de l'été, lui annoncent qu'ils viennent la chercher. Jean convainc Marie qu'elle doit retourner avec ses parents en attendant qu'il puisse leur assurer un avenir.

Marie rentre donc chez ses parents, et Jean monte à la capitale, où il espère commencer des études d'architecte pour repenser les villes du futur. Dans le train, il rencontre Bazalo, un artiste peintre italien qui rencontre un certain succès avec ses toiles abstraites, et qui lui met le pied à l'étrier à Paris.

Jean commence à travailler comme correcteur dans une imprimerie, contre le gîte et le couvert, et une maigre somme d'argent. Il écrit tous les jours à Marie, lui décrivant la grisaille et la saleté de la capitale. Marie est son étoile, son rayon de soleil. Et tous les jours, Marie lui répond.

Un jour, Marie écrit à Jean qu'elle est enceinte. Jean est aux anges, et lui promet qu'ils se marieront le 24 décembre. Il lui conseille de s'ouvrir à ses parents, et leur écrit lui-même pour leur faire part de son projet de vie (devenir architecte) et de sa demande en mariage.

Malheureusement les parents de Marie ne voient pas cela d'un bon oeil. Son père se rend chez la mère de Jean, et découvre la pauvreté dans laquelle elle vit. Il propose à Marie d'avorter, ce que Marie refuse catégoriquement. Marie écrit à Jean, lui demande de venir la chercher immédiatement. Jour après jour, elle attend à la gare, espérant le voir arriver.

Jean, de son côté, est pris dans un bombardement et gravement blessé. Il est dans le comas, plusieurs membres fracturés. C'est Bazalo, son ami peintre, qui le retrouve et le fait emmener à l'hôpital à bord de sa voiture avec chauffeur. Jean reste dans le comas deux semaines.

Deux semaines, pendant lesquelles les lettres de Marie s'amoncellent sur sa table de nuit. Deux semaines pendant lesquelles Marie se désespère et perd son enfant.

Lorsque Jean se réveille et prend connaissance des lettres de sa douce, il veut immédiatement aller la chercher. Bazalo prend sa voiture et son chauffeur, et de Paris, ils traversent la France sous la neige, pour arriver le soir du 24 décembre chez les parents de Marie.

Mais Marie n'est plus. Bazalo étrangle à mort le père de Marie et Jean emporte le corps sans vie de sa bien aimée. Ils roulent encore, jusqu'à Saint Sauveur, jusqu'à la chapelle devant laquelle ils se sont aimés. Jean dépose Marie dans la neige devant la chapelle et se hisse jusqu'à la falaise, pour sauter.

Mais il se ravise. La vie gagne. La vie, et l'amour de Marie, lui donneront la force de continuer et de changer le monde.

Mon avis: La narration est très différente de tout ce que j'ai pu lire auparavant. Ici, on a un auteur qui intervient dans le livre même. Il nous raconte dans quelles circonstances il écrit, il nous dit " regarde tel personnage, il fait ceci ou cela, sa famille est composée de telle manière. Il va jouer un certain rôle dans la vie de notre protagoniste. Maintenant laisse moi t'emmener dans un certain décor qui aura de l'importance. Vois ce détail et celui-là encore. "

Mais il ne prend pas toute la place, et se rappelle juste de temps en temps à notre bon souvenir. En lisant le livre, je me suis d'ailleurs souvent demandé quelle était la part d'autobiographie qui en ressortait, puisque l'auteur nous promettait de nous donner " sa vérité " .

J'ai trouvé la réponse dans cette coupure de presse:

Le protagoniste a pour nom de famille celui du village natal de René Barjavel, ce qui confirme déjà pas mal de mes soupçons. Et Barjavel lui-même le dit: " Tarendol, c'est moi. " L'histoire de Jean est inventée, mais les paysages, la guerre, l'amour et de romantisme ont été vécus par le jeune Barjavel.

Je faisais plus haut allusion à Roméo et Juliette, et bam! Dans le mille Sev! Barjavel confirme: la trame de son histoire est adaptée de la célèbre pièce de Shakespeare. Lisez l'article ci-dessus, il est vraiment très éclairant sur la manière dont l'auteur a écrit ce livre.

J'ai tout aimé dans Tarendol. Ok je n'ai pas aimé quelques dialogues niais (" Marie, oh ma Marie, je t'aime! " " Oh Jean! Tu es tellement fort, je t'aime aussi " - je caricature, mais vous voyez le style). Ah et j'ai eu un petit doute sur l'attitude de Jean quand il espionne Marie qui fait sa toilette et lui envoie des missives enflammées alors qu'ils ne se connaissent pas. Le gars vit dans un fantasme, non? C'est un stalker ou quoi?

Mais si on passe sur ces deux points, le reste nous emporte comme une grande vague.

Je reviens encore une fois sur l'écriture de Barjavel, qui m'a bouleversée. Une plume poétique à n'en plus finir, sans lourdeur et sans fanfreluches. Des associations de mots auxquelles on n'aurait pas pensé mais qui finalement disent tellement de choses lorsqu'ils sont mis ensemble.

Lorsque je lisais, je poussais de petits soupirs d'aise à lire un texte si brillamment écrit, c'est vous dire. J'essayais de décrire ce que j'étais en train de vivre à mon homme, mais c'est tellement difficile! A part dire " c'est très bien écrit, c'est super poétique, sa maîtrise des mots est magistrale ", je ne vois pas comment retranscrire mon expérience de lecture.

L'histoire, maintenant. Tout d'abord, je suis une fan inconditionnelle de Roméo et Juliette (la faute à Léonardo DiCaprio lorsque j'avais 14 ans), donc des histoires d'amour dans lesquelles l'amour est pur et limpide comme une source d'eau fraîche jaillissant du rocher (je me trouve un peu lyrique, sûrement l'influence de ce Barjavel, tiens!). Sachez aussi que je vivais une période un peu trouble, et le contraste entre ma vie si compliquée et cet amour tellement simple était juste saisissant.

Tout cela explique sûrement pourquoi j'ai tellement aimé cette histoire, mais pas que. C'est juste une très bonne histoire. Elle est simple, certes, et tragique, mais la force des sentiments de Jean et Marie est telle qu'on a l'impression que rien ne peut lui résister.

La descente aux enfers de ce couple si charmant est irrémédiable. La grossesse de Marie leur fait prendre conscience qu'ils ne peuvent vivre que d'amour et d'eau fraîche, comme ils l'ont fait pendant l'été, lorsqu'ils batifollaient sous étoiles, au nez et à la barbe de la vieille tante de Marie.

Et la vie, ses évènements bien réels, la guerre, les sépare. Marie dépérit et perd son enfant, entre le silence de Jean et ses parents qui l'exhortent à avorter. Tant et si bien qu'elle perd son bébé, et meure.

La fin est juste magistrale: Jean a accompli la professie maudite qui pèse sur St Sauveur. La légende veut qu'une princesse vive dans le château. Son père promit sa main à celui qui l'aimait, à une condition: d'aller servir Dieu aux croisades, et de bien le servir.

Le chevalier partit, et n'étant jamais certain d'avoir assez bien servi Dieu pour mériter sa belle, resta longtemps en terre sainte. Sa promise, chaque jour, l'attendait devant la chapelle. Lorsqu'il revint, sa barbe était blanche, et la princesse morte.

Jean aussi, en laissant Marie derrière lui pour se consacrer à sa carrière afin d'assurer à Marie un bon avenir, se comporte comme le chevalier maudit.

Il revient avec le corps de sa belle et l'étend dans la neige, il est résolu à la rejoindre de l'autre côté et à sauter de la falaise. Mais au dernier moment, quelque chose le retient: la vie, et le souvenir de Marie. Magistral, je vous dit. Tragique et porteur d'espoir en même temps.

J'ajouterai que la galerie de personnage qui entoure nos deux tourtereaux est tout à fait savoureuse. Cette amie de Marie qui se retrouve, par défaut, à épouser une brute de 40 piges. Les employés de l'imprimerie, qui impriment en secret des tracts contre les boches. Le père de Marie, dégoûtant personnage qui ne pense qu'à courir les jupons. La mère de Jean, droite dans ses bottes, qui ferait tout pour que son fils ait une éducation. Les petits jumeaux, qui meurent si tragiquement. Cet élève indochinois, tellement mystérieux.

Barjavel donne à tous ses personnages assez d'amplitude pour vivre sous nos yeux. Les personnages secondaires sont développés, respectés. Ils ont de la profondeur.

Que dire de plus? J'espère vous avoir convaincu!

Extraits:

Marie, vous êtes un ange du ciel. J'étais dans l'ombre derrière vous,si près de vous, tout contre vous, sans oser vous dire que j'étais là, moi qui me sens assez courageuse pour me battre contre les montagnes s'il le fallait pour vous gagner. J'étais là dans l'ombre toute rayonnante de votre présence au milieu de ces fous qui ne savaient pas qu'il n'y avait que vous au monde et que le reste n'a pas d'importance. Marie,j'étais là et je vous aime, et je n'ai pas pu vous le dire, et je veux vous le dire, et je veux, je veux savoir si vois m'aimez aussi. Vous qui ne me connaissez pas. Je ne peux plus rester là, je crierai, je vous prendrai, je vous emporterai... Je m'en vais.

Dans quelques jours, il arrivera, il tendra de nouveau les bras vers elle, et quand il les aura fermés, cette fois-ci, il ne les rouvrira plus. Marie appuie contre l'arbre sa joue d'abord, puis tout son corps. L'écorce est rude et fraîche contre la peau de son visage. Elle ferme les yeux. Elle est heureuse d'être Marie et d'être femme, de s'être couchée devant Jean, de s'être ouverte devant lui pour recevoir le dur plaisir et la vie chaude qui est restée en elle ; heureuse d'être le terrain miraculeux où il sema cette graine qui a germé et qui pousse, jusqu'au jour où la moisson mûre la quittera en la déchirant de joie et de sang.

L'auteur: René Barjavel, né le 24 janvier 1911 à Nyons (Drôme) et mort le 24 novembre 1985 à Paris, est un écrivain et journaliste français principalement connu pour ses romans d'anticipation où science-fiction et fantastique qui expriment l'angoisse ressentie devant une technologie que l'homme ne maîtrise plus.

Certains thèmes y reviennent fréquemment : chute de la civilisation causée par les excès de la science et la folie de la guerre, caractère éternel et indestructible de l'amour(, Le Grand Secret, La Nuit des temps, Une rose au paradis). Son écriture se veut poétique, onirique et, parfois, philosophique. Il a aussi abordé dans des essais l'interrogation empirique et poétique sur l'existence de Dieu (notamment, La Faim du tigre), et le sens de l'action de l'homme sur la Nature.

(Je n'aurais su mieux dire, j'ai donc fait un bête copié-collé de sa fiche Wikipedia).

Produits dérivés: Un film a été tiré du roman de Barjavel en 1980, avec Jacques Penot et Florence Pernel.

Voici la première partie (sur quatre) du film:

http://www.ina.fr/video/CPB80054616 Pour aller plus loin:

Le Barjaweb, un site web dédié à Barjavel, sa vie son oeuvre, et plus: http://barjaweb.free.fr/SITE/

Un article du Figaro parut à sa mort en 1985: http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2015/11/23/26010-20151123ARTFIG00259-barjavel-mort-du-tres-enigmatique-maitre-de-la-science-fiction-francaise.php