L’immeuble Des Femmes Qui Ont Renoncé Aux Hommes, Karine Lambert

Par Sevxilian

J’ai acheté ce livre après l’avoir vu ici et là sur plusieurs blogs littéraires. Le titre est intrigant, la couverture colorée, le livre pas trop gros: une lecture parfaite pour l’été, me suis-je dis.

Alors, lorsque je suis tombée dessus à la Fnac (à la recherche d’Outlander, mais ceci est une autre histoire), je l’ai embarqué avec Mémé Dans Les Orties et Dragon Bleu Tigre Blanc , deux autres livres que je voyais beaucoup passer sur la blogo.


La couverture: J’ai beaucoup aimé les différentes fenêtres de couleurs, qui m’ont évoqué L’Immeuble Yacoubian.

On a un aperçu des différents styles des locataires de l’immeuble. La police d’écriture, « écrit main », est aussi très sympa. Un joli livre-objet.


Résumé et avis: Juliette emménage dans un immeuble qui a une règle bien particulière: les hommes y sont interdits, et les femmes qui y vivent ont renoncé aux hommes.

Mais Juliette, la nouvelle, et la plus jeune du lot, n’a pas vraiment renoncé. Arrivera-t-elle à changer les règles?

On suit le destin de quatre femmes et de la Reine, à qui appartient l’immeuble, et qui a instauré cette règle pour le moins saugrenue. On plonge dans le passé pour comprendre comment ces femmes en sont arrivées à renoncer aux hommes. Juliette est l’élément perturbateur qui va remettre en question cette petite organisation bien huilée.

Il s’agit plutôt d’un roman contemplatif, « tranche de vie ». Pas énormément d’action. Au fur et à mesure que je découvrais les personnages, je voyais que je m’approchais dangereusement de la fin, et je me disais « mais c’est pas possible, quand est-ce que l’action va commencer? »

C’est un joli roman mais pour moi il manque quelque chose. On assiste à la phase de transition de toutes ces femmes, mais je reste sur une impression d’inachevé.


L’histoire: Juliette a besoin d’un logement, et sa copine Carla, qui part quelques mois en Inde, lui propose de prendre son apart’ dans un immeuble un peu particulier: aucun homme n’y est admis. Le seul mâle, c’est Jean-Pierre, le chat de l’une des locataire.

Juliette rencontre bientôt « La Reine ». C’est à elle qu’appartient cet immeuble, et c’est elle qui a instauré la règle à respecter. Ancienne danseuse étoile, la Reine vit au dernier étage de l’immeuble et ne sort jamais. Elle a une immense terrasse sur laquelle elle cultive des bambous qui ne fleurissent qu’une fois par siècle, et qui meurent juste après leur floraison.

La Reine vit de ses souvenirs, de sons enregistrés sur son mp3 de cigales du sud de la France et d’applaudissements, entre ciel et terre. Plutôt vers le ciel, en fait. La Reine reçoit ses abeilles tous les dimanches pour un dîner pendant lequel une bouteille d’un vin exotique est dégustée.

Elle a en horreur son corps, qui lui a donné la gloire et les applaudissements, des hommes en veux-tu, en voilà, et qui la lâche. Arthrose, rhumatismes, la nature la rattrape et elle en a horreur. La reine, à ses heures de gloire, enchaînait les hommes comme certains enchaînent les verres de champagne.

Elle a eu un amoureux qui a vraiment compté, et qui, comprenant sa nature volatile, lui a fait cadeau de cet immeuble en preuve de son amour infaillible, avant de disparaître.

Giuseppina, sicilienne et brocanteuse, a échappé à la tyrannie patriarcale de son père, de ses frères et de son mari. La nuit de ses noces, il y a un match important. Son nouvel époux la baise donc devant le match, plus enclin à regarder le foot qu’à satisfaire celle qui partage maintenant sa vie.

Giuseppina a dit merde et a trouvé refuge dans cet immeuble. La seule chose qui lui manque, c’est sa fille, que sa famille lui a enlevée, pour l’éduquer « comme il faut ». La boisson l’aide un peu à oublier. Elle traîne une patte folle, séquelle de ses traumatismes machistes.

Simone, campagnarde élevée à la ferme, décide un jour de quitter sa province natale pour aller en Amérique latine. Elle y rencontre l’amour de sa vie, lui fait un enfant, le mignon petit Diego… mais un beau jour, elle trouve l’amour de sa vie en train de culbuter une demoiselle sur une botte de paille. Ni une, ni deux, elle prend son bébé sous le bras et rentre à Paris, où elle l’élève seule.

Elle a des aventures d’un soir d’ici, de là, mais sans plus. Après avoir passé une nuit qu’elle estimait envoûtante avec son prof de danse, celui-ci lui fait comprendre qu’elle n’était qu’une conquête de plus. C’en est fini des hommes pour Simone. Elle emménage chez la Reine, et prend un chat, Jean-Pierre, nommé ainsi en hommage à Jean-Pierre Bacri, son fantasme.

Rosalie Labonté, elle, avait trouvé en François l’amour de sa vie. Ils vivaient à l’unisson, en privé et au travail. Une équipe de choc à laquelle rien de pouvait résister. Jusqu’au jour où Rosalie a évoqué son désir d’enfant, et que François s’est aperçu que ça ne collait pas avec sa vision de l’avenir. François est donc parti acheter des cloppes et n’est jamais revenu.

Rosalie, effondrée, a complètement changé de vie. La business woman a ralenti et s’est tournée vers le yoga, la méditation et les tisanes. Elle est aujourd’hui prof de yoga, et reçoit, de temps en temps, une carte postale de François, qui fait un genre de tour du monde après l’avoir quitté, et qui lui dit combien il est désolé d’avoir été aussi lâche.

Quant à Juliette, monteuse pour la télé, elle traîne aussi ses casseroles, mais d’une autre nature: ses parents, qui ne l’ont jamais aimée. Deux êtres fusionels au possible, entre lesquels Juliette n’a jamais réussi à se faire une place.

Juliette a un meilleur pote, Max, avec qui elle travaille, et avec qui un pacte de non-relation amoureuse est passé depuis longtemps. Juliette s’empiffre de chocolat et a quelques rondeurs qui l’embêtent. Juliette choisit toujours ses chaussures les plus hautes et les moins confortables pour ses premiers rendez-vous. Et surtout, Juliette cherche un mec.

Alors lorsque Juliette débarque, elle chamboule un peu tout sur son passage. Ok, pas d’homme dans l’immeuble, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas les voir/les séduire à l’extérieur, n’est-ce pas? D’ailleurs elle est inscrite sur un site de rencontre (Max l’y a poussée).

Son enthousiasme à rencontrer l’amour déteint vite sur ses colocs, qui l’aident à choisir sa tenue et lui donnent des trucs et astuces pour ses rendez-vous. Juliette emmène aussi tout le monde (sauf la reine) à la piscine pour se remettre en forme, ce qui provoque beaucoup d’émotions. Giuseppina ne sait pas nager et ronchonne, Simone se prend à rêver que le maître nageur la coincera dans un vestiaire… et Rosalie fait des longueurs pour oublier François.

La vie dans l’immeuble prend le pli et une routine s’établit. Jusqu’au jour où les filles reçoivent un appel de Simone: la Reine est morte. Ses bambous ont fleuri, elle a pris un somnifère et ne s’est jamais réveillée. La Reine, avec sa manie de tout contrôler, à déjà tout prévu pour son enterrement… du cercueil au violoniste.

Elle laisse son appartement à Juliette, qui décide de l’ouvrir à nouveau aux hommes… mettant ainsi fin à l’immeuble des femmes qui avaient renoncé aux hommes.


Mon avis: J’ai été un peu déçue par ce livre. Mes attentes étaient les suivantes: une bande de féministes qui a un mode de vie alternatif. Cependant, on hérite d’un lot de nanas blessées par la vie, et qui n’ont trouvé, comme moyen de survivre, que de se couper de la gent masculine.

Rien d’idéologique dans leur choix, elles se sont pris des baffes et se sont retranchées entre filles pour ne plus souffrir. Ce qui n’est pas une mauvaise justification en soi, mais c’est juste que je pensais qu’au moins du côté de la Reine, il y aurait cette dimension philosophique, allant un peu plus loin qu’une réaction épidermique. Mais que nenni, mes braves. La Reine est en fait la pire de toute. Une narcissique qui ne supporte pas la vieillesse.

Comme je l’ai dit plus haut, je pensais que l’auteure allait nous présenter les personnages, et qu’ensuite il y aurait de l’action avec l’arrivée de Juliette. Mais 90% du livre se passe dans le passé.

Les 10% restants sont donc consacrés à la petite révolution que Juliette fait subir à toutes ces femmes, et au renoncement de la Reine, qui comprend que ce mode de vie n’est pas pérenne… mais qui ne peut souffrir d’affronter la vie telle qu’elle est.

Elle choisit donc la mort, et lègue son territoire à Juliette, en qui elle voit l’espoir d’un mode de fonctionnement nouveau pour ses abeilles. Dix pour cent, c’est bien trop peu. C’est vraiment trop peu, en fait. Il ne se passe rien. D’où ma qualification de « contemplatif » et « tranche de vie » pour ce roman.

Je l’ai lu juste après Mémé Dans Les Orties, dans lequel il y a de l’action à revendre, et le contraste était saisissant. Les deux livres ont pourtant beaucoup de point communs: premier roman, auteure francophone, livre court. Mais ça s’arrête là.

Pourtant c’est un joli roman. L’écriture est fine, ça se lit très bien, j’ai beaucoup apprécié le style. Les descriptions sont vraiment poétiques. Je pense que le problème tient plus à la structure qu’au contenu. Chaque histoire de femme est touchante, mais du fait que l’on doive en explorer cinq, elles ne sont pas assez approfondies.

J’ai aussi beaucoup aimé la description du quartier parisien dans lequel vivent ces femmes: un quartier « village », loin de l’agitation de tout, mais en plein centre de la grande ville.

Une rue avec des commerçants qui vous connaissent par votre prénom, une rue dans laquelle la routine est une valeur sûre, une protection.

C’est un livre poétique et touchant. Il vaut le coup d’être ouvert, même s’il pèche par son manque d’action. Les thèmes traités ne sont pas à prendre à la légère: société patriarcale et machisme, adultère, ignorer son enfant, ne pas supporter la vieillesse… En fait, peut être que Karine Lambert a voulu trop en mettre dans un format trop court, d’où ce sentiment de survoler les choses sans aller en profondeur. Il faudrait un roman par femme😉

En résumé, un livre bien écrit, qui aborde des sujets difficiles et un choix de reconstruction original. Peu d’action, plutôt un roman qui invite à la réflexion (j’ai beaucoup aimé les échanges entre Juliette et la Reine). Quelque chose de très doux s’en dégage.

Ce n’est pas un livre qui plaira à tous, et je pense qu’il faut être averti avant de le lire, sous peine de passer à côté ou d’être déçu.


L’auteure: Karine Lambert est une photographe belge vivant à Bruxelles, qui aime capter les instants magiques et éphémères de la vie quotidienne.

L’Immeuble Des Femmes Qui Ont Renoncé Aux Hommes est son premier roman, et a reçu le Prix Saga Café, qui récompense le meilleur premier roman belge.

Son site de photographe (je pense que c’est elle): http://www.karinelambert.com/


Pour aller plus loin: 

Sur la floraison mystérieuse des bambous: http://mysteres-verts.over-blog.com/article-bambou-les-fleurs-du-mal-75226713.html

Sur l’acceptation de la vieillesse tout en ayant du style: http://www.advanced.style/