Chaque seconde est un murmure

Par Denis Arnoud @denisarnoud

Chaque seconde est un murmure d’Alain Cadéo aux éditions Mercure de France
Iwill a dix-neuf ans le jour où il devient un homme. La mutation s’est faite d’un seul coup, brutalement dans la douleur. C’est dans la tôle froissée et dans le sang qu’a éclos cet homme que nous découvrons. Dans cet accident, il a perdu son amour, la seule personne (à part sa sœur) qui le comprenait, qui l’aimait pour ce qu’il était.
Du jour au lendemain Iwill a tout quitté. Quittant le monde des hommes, des concessions, des apparences pour celui de la route. Il marche sur les sentiers, arpente les chemins, sa vie est dans le mouvement. Il ne s’arrête que de temps en temps, pas longtemps, juste pour se reposer. Le rythme de son cœur s’est calqué sur celui de ses pas et sur celui des mots, ces mots qu’il décompose en lettres, tant il a de mal à les prononcer, Iwill est bègue.
« Le seul métronome qui calme vraiment mon coeur c’est la cadence de mes pas sur des routes sans fin. »
Un jour, les pas d’Iwill l’emmènent à Luzimbapr. Un coin perdu, retiré. Il y fait la rencontre de Laston, homme au sourire permanent, accompagné d’une meute de chiens féroces. Laston le conduit chez lui. Iwill fait la connaissance de Sarah, sa femme, plus jeune que son hôte. Iwill s’installe pour quelques jours. Sarah lui offre unlivre de comptes vierge sur lequel il a pour mission d’écrire sa vie. Il ne pourra repartir que lorsque le cahier sera entièrement rempli. Iwill est perdu. Il ne sait que penser de ce couple. Entre la bonhommie de Laston, l’attirance qu’il éprouve pour Sarah, il ne se sen pas libre. Ce lieu au nom aux consonances exotiques, est-il une oasis sur son chemin ou une prison dorée ? Quelle serait la réaction des chiens s’il décidait de partir sans avoir rempli sa mission ? Le mettraient-ils en pièces ? Comme Shéhérazade dans Les contes des milles et unes nuits, sa vie ne dépend-t-elle que des ses mots ?
J’avais découvert, l’année dernière la plume d’Alain Cadéo. J’avais été charmé par la musique de ses mots et la profonde humanité qui ressortait de son roman Zoé.Aux mêmes causes, les mêmes effets, j’ai encore une fois été transporté par la petite musique de l’auteur, par ses personnages à la marge du monde mais d’autant plus humains. Par Iwill, cette homme détruit par la perte de son amour, par sa volonté (will en anglais) de rester debout, en mouvement pour ne pas mourir, pour vivre au rythme de ses pas, au rythme des ces mots qui le fascinent. Amoureux des mots, de leur musique je ne peux que vous recommander ce très beau livre. Quant à moi, j’attends avec impatience le prochain Alain Cadéo.
« Ne rien attendre... C'est difficile, pour nous qui avons un pied dans la matière et un autre déjà dans le vide.Il reste si peu de choses dans le creux de notre dernier lit. Ça ne pèse pas bien lourd, un crâne et ses millions d'images sur l'oreiller d'une agonie.Et dans chaque être, aussi petit soit-il, il y a pourtant, je vous le jure, ce qui ressemble à l'infini. »« Sacré Laston ! Son rire, face à mes petites phrases sèches et inaudibles, est comme un bâton de vanille dans un verre de bile. Il a le chic pour me refouler en selle. L'humain c'est formidable. Ça a beau être pourrissant, corrosif, destructeur, hystérique, parfois ça badigeonne la vie d'une grand coup de tout neuf. Et rien qu'avec un rire, ça vous glisse une image digne de tout l'Himalaya , ça vous recapitonne le moral de neige toute fraîche, un vrai bain de jouvence, un truc à ressusciter les morts. »
« Mais enfin ça ne veut rien dire, la liturgie des couples est toujours un mystère et leurs messes ont pour les autres, l'énigmatique valeur de sacrements intraduisibles. »Vous retrouverez ici ma chronique sur Zoé : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2015/02/zoe.htmlet ici, les Souvenirs de lecture d'Alain Cadéo : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2015/06/souvenirs-de-lecture14-alain-cadeo.html