Rosalie, d’Ange Pechméja

Par Alphonsine @nolwenn_pamart

On ne peut pas dire qu'Ange Pechméja soit un auteur connu. Né en 1819 à Saint-Céré, Pechméja commence une carrière de journaliste engagé. Déporté après le coup d'état de Napoléon III, il est déporté et bourlingue à travers le monde, tout en correspondant avec nos écrivains préférés (Gautier, Flaubert et Baudelaire). C'est alors qu'il se réfugie chez ses parents qu'il entame une longue nouvelle, intitulée Rosalie, dont l'inspiration semble assez autobiographique.

Je me suis intéressée à Rosalie après ma lecture, qui commence à dater un peu, des conseils d'écriture d'Antoine Albalat, qui le citait, si mes souvenirs sont bons, comme un exemple à suivre. Il m'aura simplement fallu mener quelques recherches, car Albalat avait mal retranscrit le nom de l'auteur ; une fois l'orthographe correcte retrouvée, ce fut tout de suite plus facile. D'autant plus que l'ouvrage est proposé en ebook sur Gallica. Plus d'excuses, dès lors : je me suis lancée dans ma lecture. C'était il y a quelques mois.

A vrai dire, cela commence plutôt bien parce que le point de départ du personnage intéressant. Confidence subjective : j'aime les personnages qui ont connu des échecs. Ils me semblent, sans que je puisse l'expliquer parfaitement, plus profonds ... ou du moins plus faciles d'identifications. Nous suivons donc Jean-François, jeune homme provincial, en désaccord avec la moralité un peu étriquée de ses parents (notamment la piété un peu étouffante de sa mère). Engagé, plein d'idéeaux, il monte à Paris pour y tenter sa chance. Illusions perdues bis : il n'y réussit pas pour plein d'excellentes raisons et rentre en province. Alors, l'incompréhension de ses parents et le fossé idéologique entre eux se creuse. Et Pechméja lui donne corps de manière fort efficace. Ce qui est particulièrement bien trouvé, selon moi, c'est que ce fils et ces parents s'aiment. Mais comme ils ne se comprennent pas, comme leurs idées respectives les ont façonnés trop différents, malgré eux, ils se font du mal. C'est assez poignant quand on y pense.

Hélas, j'ai trouvé qu'après, cela se gâtait un peu.

Jean-François rencontre Rosalie, la fameuse Rosalie qui nous attendons tous parce qu'elle est le titre et l'horizon qu'on nous annonce. Il décrit la relation qui se forme, légère, peu sérieuse au début, ou du moins pas destinée à durer : un mariage semble impossible, et Jean-François est contraint plusieurs fois de déménager rapidement, pour le bien des causes qu'il défend ou pour sa propre sécurité. Mais le récit qui s'engage sur ces deux-là veut trop faire exemple et, par là, se justifie trop.

Décrire une relation, fondamentalement illégitime, avec une grisette comme s'il s'agissait d'une relation stable, profonde, en un mot, d'un mariage qui ne dit pas son nom, c'était aussi intéressant qu'audacieux (encore qu'en 1860, le procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal a déjà dix ans), mais l'auteur le justifie trop fréquemment. Il assène, il martèle sans cesse que cela ne va pas de soi. Alors certes, ça ne va pas de soi... mais au bout d'un moment, l'insistance devient pesante. Et pire, elle crée l'effet inverse : l'auteur justifie tellement nos deux amoureux qu'on vient à rêvasser, lecteur moderne, un grave et troublant secret qui viendrait nous les révéler bien moins purs qu'ils ne semblaient.

(Ici doit s'ouvrir une nécessaire parenthèse. A l'heure où j'écrivais les précédentes lignes, je n'avais pas mené ma lecture jusqu'à son terme : le destin de nos deux amoureux apprenti martyres commençait à m'ennuyer, et j'avais laissé tomber. Pourtant, folle de ma nouvelle idée, j'ai couru au livre, et je l'ai terminé à l'envers, en remontant le cours des événements que j'avais ratés. Jean-François voyage toujours plus loin, jusqu'en Bulgarie orientale, Rosalie ne ménage pas les sacrifices pour le rejoindre, y parvient enfin... l'auteur revient sur toutes les difficultés que la jeune femme a traversées pour aller vers son amant, et en gardant son bon caractère, en plus. Cela ne finit pas très bien - euphémisme - et si vous souhaitez découvrir la fin par vous-mêmes, je vous recommande de sauter au paragraphe suivant. En effet, Rosalie met au monde un enfant, qui meurt peu de temps plus tard, trop malmené par sa nourrice bulgare, avant de tomber malade et de mourir à son tour. Jean-François est triste. Notons que je caricature, parce que la douleur du personnage est plutôt bien retranscrite. Cela passe par un détail, qui n'a l'air de rien : Jean-François fait sa malle, et Rosalie ne peut plus l'y aider. Il songe alors que quel que soit le voyage qu'il entreprend, son amante ne le rejoindra plus. C'est simple, cela va droit au but, et c'est émouvant comme tout.)

La nouvelle de Pechméja comporte en outre de beaux passages. Des moments où le lyrisme laisse la place à la simplicité, à des petits détails qui font mouche. Et si Rosalie a peut-être beaucoup vieilli, on y sent, en passant, la saveur d'un esprit affûté malgré tout, et qui parlait peut-être de lui-même lorsque dans l'incipit du texte il écrit :

L'équilibre entre des facultés puissantes n'appartient qu'au génie, c'est à dire à l'exception ; mais il est certaines organisations délicates dont le développement voudrait un milieu tout spécial. A des gens doués d'une certaine façon, les premiers pas sont toujours coûteux ; de ces gens-là l'on ferait peut-être d'emblée des généraux ou des ambassadeurs ; on n'en saurait faire des commis ou des sous-officiers passables. Leur malheur est d'avoir à travers la filière usitée et d'être obligés à un début ; aussi ne réussissent-ils que par accident.

Énième récit d'amours contrariées et d'inadapté romantique, Rosalie peut valoir le coup d'œil pour les petites observations de l'auteur, et ses accents de sincérité. Malgré cela, j'ai eu du mal à parvenir au bout, j'ai lu quelques passages en diagonale. Une fois n'est pas coutume, l'ensemble était peut-être un peu trop suranné, un peu trop saturé de bons sentiments. Notons que le format livre numérique convenait mal au style et au type de récit. Ma lecture de Solitude, de Dargaud sur une édition romantique avait été bien moins sévère parce que tout, de la typographie au toucher du papier relevait d'une autre époque. Ici, les défauts liés à l'océrisation (lettres pas distinguées assez clairement d'un point de vue typographique, fautes) viennent souligner les défauts du texte, en noient les qualités.

Une expérience en demi-teinte, mais qui nourrit ma réflexion sur la répartition de mes lectures, entre papier et numérique.